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Esclavage Moderne à Marseille : Adolescents Piégés par les Réseaux

« Bonjour, on est séquestré pour le réseau. SVP appelle la police ». Ce message, griffonné dans un pochon de drogue à Marseille, révèle un cauchemar que vivent des centaines d’adolescents. Derrière les billets faciles promis sur Snapchat, il y a viol, torture et esclavage. Jusqu’où ira cette spirale ?

Imaginez acheter votre dose et découvrir, glissé dans le sachet, un bout de papier tremblant : « Bonjour, on est séquestré pour le réseau. SVP appelle la police ». Ce n’est pas le scénario d’un film d’horreur. C’est la réalité vécue par certains clients des cités marseillaises ces derniers mois.

Quand le « job de rêve » devient un cauchemar sans fin

Ils ont 14, 15 ou 16 ans. Souvent en rupture avec leur famille, parfois déjà connus des services sociaux. Sur TikTok ou Snapchat, on leur promet le gros billet facile : guetteur, charbonneurs, vendeur. 100 euros pour une vacation de 10 heures, ça paraît énorme quand on vient d’un quartier difficile d’une autre région.

Ils débarquent à Marseille, la poche pleine d’espoirs et le téléphone rempli de contacts. Très vite, la réalité les rattrape. On leur retire leur portable, on les loge dans des conditions indignes, on leur impose des horaires infernaux. Et surtout, on leur fait comprendre qu’il n’y a plus de retour en arrière possible.

Des violences d’une extrême brutalité

Les témoignages recueillis par les enquêteurs glacent le sang. Hakim, 15 ans, venu de région parisienne fin 2020, s’est jeté sur une patrouille de police en pleurant : « Sortez-moi de là ». Quelques jours plus tôt, il dormait encore avec un simple cookie à partager et un bol d’eau pour toute toilette.

Parce qu’il avait manqué une alerte (« ara ! »), le responsable du point de deal, à peine plus âgé que lui, l’a menacé d’un couteau avant de le violer. « Qu’est-ce que tu serais prêt à faire pour rester en vie ? », lui a-t-il lancé. La scène a été filmée pour garantir son silence.

Un autre cas, jugé début 2025, concerne deux adolescents de la cité Frais-Vallon. Accusés d’un « trou » fictif de 500 euros dans la caisse, ils ont été séquestrés un mois entier. Battus à coups de barre de fer, ils ont fini par glisser des messages dans les pochons avant de sauter du deuxième étage pour échapper à leurs bourreaux.

« On a souvent des mineurs violentés très gravement, séquestrés, mis à l’amende, qui n’arrivent plus à sortir des réseaux. Mais c’est l’omerta, on ne dénonce pas. »

Nicolas Bessone, procureur de Marseille

Un phénomène qui déborde sur les fratries

Le pire, c’est que la violence ne s’arrête plus à la personne recrutée. Quand un jeune ne « rembourse » pas ou ne travaille pas assez, le réseau s’en prend à la famille. Un directeur d’établissement pour mineurs délinquants témoigne : le petit frère ou la petite sœur peuvent être enlevés et violés pour faire pression.

Cette mécanique infernale crée un cercle vicieux. Les victimes d’hier deviennent parfois les bourreaux de demain, reproduisant sur les nouveaux arrivants ce qu’ils ont eux-mêmes subi.

Des « mouchoirs jetables » au cœur des guerres de clans

Depuis 2023 et l’arrivée d’un nouveau pôle criminalité organisée au parquet, le constat est sans appel : les mineurs sont envoyés en première ligne lors des règlements de comptes. Pendant la guerre entre Yoda et DZ Mafia, des dizaines d’adolescents ont été tués ou gravement blessés.

Ils sont interchangeables, recrutés en masse, et jetés dès qu’ils deviennent gênants. « Des mouchoirs jetables », résume Isabelle Fort, magistrat en charge du pôle. Ils arrivent volontairement, séduits par l’argent rapide, et se retrouvent prisonniers d’un système qui ne leur laisse aucune issue.

La justice change lentement de paradigme

Longtemps, ces adolescents étaient vus comme de petits délinquants volontaires. Aujourd’hui, une partie du monde judiciaire parle ouvertement de traite d’êtres humains. C’est inédit en France pour de la criminalité forcée.

Le ministre de la Justice a lui-même demandé, début 2024, d’envisager ce qualification pénale. Marseille a ouvert une dizaine d’enquêtes sous ce angle. Reste que tout le monde n’est pas convaincu.

« Il faut dans la traite d’êtres humains qu’on ait affaire à des victimes à 100 %. Actuellement, on n’est pas prêts. »

Sébastien Lautard, numéro deux de la police judiciaire de Marseille

Beaucoup de policiers et de magistrats soulignent la difficulté : ces jeunes ont été consentants au départ. Le recrutement par réseaux sociaux, le déplacement volontaire, l’appât du gain compliqué l’analyse juridique.

Un cri d’alarme international

L’Unicef a tiré la sonnette en juillet 2025 : punir ces enfants comme de simples délinquants va à l’encontre du droit international. En Belgique ou au Royaume-Uni, les victimes de traite ne peuvent plus être poursuivies pour les actes commis sous la contrainte.

En France, le changement est timide mais réel. Certains juges pour enfants, aujourd’hui à la retraite, ont été les premiers à parler d’emprise et de soumission plutôt que de simple récidive.

Que faire pour sortir ces adolescents de l’enfer ?

Les professionnels de terrain sont unanimes : il faut les extraire totalement du milieu. Les placer à la campagne, leur redonner une vie d’enfant avec des activités simples – cuisine, jeux de société – pour briser le cycle de la violence.

Mais les structures manquent. Les moyens aussi. Et surtout, la peur reste omniprésente. Même blessés grièvement – brûlés au chalumeau, tabassés pendant des jours – la plupart refusent de porter plainte.

Un avocat spécialisé se souvient d’un client revenu avec une plaie béante au flanc, brûlée au chalumeau et jamais soignée. « Ils ont l’habitude de la douleur », confie-t-il. Pour lui, c’est « vraiment de l’esclavage moderne ».

Un phénomène qui ne cesse de s’étendre

Ce qui se passe à Marseille n’est malheureusement pas isolé. Le « narcotourisme » touche d’autres grandes villes françaises où les réseaux recrutent massivement des mineurs vulnérables via les réseaux sociaux.

Les promesses d’argent facile continuent de faire des ravages. Et tant que la demande de drogue restera aussi forte, les réseaux auront besoin de chair fraîche pour faire tourner leurs points de deal.

Derrière chaque sachet vendu dans la rue, il y a peut-être un adolescent qui hurle en silence. Un adolescent qui, un jour, a cru que Marseille allait changer sa vie. Et qui aujourd’hui n’a plus qu’un seul souhait : qu’on vienne le sauver avant qu’il ne soit trop tard.

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