Imaginez deux voisins qui, après des décennies de haine, se serrent la main sous les flashs des photographes, promettent l’amour éternel… et cinq ans plus tard, se menacent à nouveau d’extermination. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui entre l’Éthiopie et l’Érythrée.
« Les deux voisins doivent respecter l’intégrité territoriale de l’autre »
Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONUUn quart de siècle de rancœurs jamais éteintes
L’histoire entre ces deux pays est une tragédie en trois actes.
Premier acte : l’Érythrée, ancienne colonie italienne, arrache son indépendance à l’Éthiopie en 1993 après trente ans de guerre de libération. L’Éthiopie, géante enclavée de plus de 120 millions d’habitants, perd alors son accès direct à la mer Rouge.
Deuxième acte : cinq ans à peine après l’indépendance, un différend frontalier autour de la ville de Badme dégénère en guerre totale (1998-2000). Bilan : des dizaines de milliers de morts et une haine viscérale.
Troisième acte : l’accord d’Alger est signé en décembre 2000, mais reste lettre morte pendant dix-huit ans. Les deux armées restent face à face, prêtes à en découdre au moindre incident.
2018-2019 : l’accolade historique qui fit rêver le monde
Puis arrive Abiy Ahmed. Nommé Premier ministre éthiopien en avril 2018, il tend la main à l’Érythrée dès juillet. Les frontières s’ouvrent, les téléphones reconnectés, les familles séparées se retrouvent en larmes.
En 2019, Abiy reçoit le prix Nobel de la paix pour ce rapprochement spectaculaire. À Asmara, le président Issaias Afwerki, au pouvoir depuis 1993, savoure cette reconnaissance internationale après des années d’isolement.
On croit le cauchemar terminé. On se trompe lourdement.
2020-2022 : l’alliance contre-nature dans la guerre du Tigré
Lorsque la région éthiopienne du Tigré entre en rébellion fin 2020, Abiy Ahmed appelle Issaias Afwerki à l’aide. L’armée érythréenne franchit massivement la frontière et combat aux côtés des forces fédérales éthiopiennes.
Pendant deux ans, les soldats érythréens sont accusés d’atrocités majeures : massacres, viols systématiques, pillages. Des rapports de l’ONU et d’ONG parlent de possibles crimes contre l’humanité.
L’accord de paix de Pretoria, signé en novembre 2022 entre Addis Abeba et les autorités tigréennes, exclut totalement l’Érythrée. C’est le début de la rupture définitive.
Aujourd’hui : des accusations qui sentent la poudre
Depuis plusieurs mois, les discours sont revenus à la case départ.
Côté éthiopien : on affirme qu’Asmara « se prépare activement à une guerre » et finance des milices anti-gouvernementales.
Côté érythréen : on accuse Addis Abeba de convoiter toujours le port stratégique d’Assab, seul débouché maritime dont rêve l’Éthiopie depuis 1993.
Les deux griefs majeurs actuels :
- L’Éthiopie reproche à l’Érythrée de soutenir des groupes armés dans les régions Afar et Amhara
- L’Érythrée redoute une offensive éthiopienne pour récupérer un accès direct à la mer Rouge
Le port d’Assab, obsession éthiopienne
Perdre l’accès à la mer a été vécu comme une amputation par l’Éthiopie. Aujourd’hui, 95 % de son commerce extérieur transite par le port djiboutien, avec des coûts exorbitants.
Assab, à seulement 60 km de la frontière, représente le rêve impossible. Certains responsables éthiopiens n’hésitent plus à déclarer publiquement que « l’accès à la mer est une question de survie nationale ».
À Asmara, ces déclarations sont perçues comme une menace existentielle directe.
Une région qui retient son souffle
La Corne de l’Afrique est déjà l’une des zones les plus instables du globe : guerre au Soudan, chaos en Somalie, tensions au Soudan du Sud… Un conflit ouvert entre l’Éthiopie et l’Érythrée serait catastrophique.
Les États-Unis, l’Union européenne, l’Union africaine multiplient les appels au calme. Mais sur le terrain, les mouvements de troupes se multiplient des deux côtés de la frontière.
Des sources locales font état de renforts massifs éthiopiens dans la région Afar et de mobilisation générale en Érythrée, pays où le service militaire est à durée indéterminée.
Vers une guerre inévitable ou énième crise diplomatique ?
Plusieurs scénarios s’offrent aux deux capitales.
| Scénario | Probabilité | Conséquences |
|---|---|---|
| Médiation internationale réussie | Faible | Retrait progressif des troupes, reprise timide du dialogue |
| Conflit limité (escarmouches) | Moyenne | Des centaines de morts, nouvelle crise humanitaire |
| Guerre totale | En augmentation | Dizaines de milliers de morts, déstabilisation régionale, famine |
Ce qui est certain, c’est que vingt-cinq ans après l’accord d’Alger, la paix reste plus fragile que jamais entre ces deux frères ennemis.
La communauté internationale regarde, impuissante, cette poudrière prête à exploser. Et dans les villages frontaliers, les habitants commencent déjà à fuir vers l’intérieur des terres.
La question n’est plus de savoir si la tension va exploser… mais quand.









