Imaginez-vous réveillé à l’aube par le grondement des obus, obligé de tout abandonner pour courir avec vos enfants vers un abri de fortune. C’est la réalité vécue cette semaine par des centaines de milliers de Thaïlandais vivant près de la frontière cambodgienne. Et pendant ce temps, à Bangkok, le Premier ministre choisit ce moment précis pour dissoudre le Parlement et renvoyer tout le monde aux urnes.
Un timing qui laisse tout le monde sans voix
Personne ne s’y attendait si tôt. Anutin Charnvirakul, à peine trois mois au pouvoir, a publié jeudi soir un message laconique sur Facebook : « Je voudrais rendre le pouvoir au peuple ». Le lendemain matin, le décret royal officialisait la dissolution de la chambre basse. Des élections législatives devront se tenir entre 45 et 60 jours, donc au plus tard début février.
Le motif officiel ? Le gouvernement minoritaire n’arrive plus à fonctionner dans un contexte de « multiples défis ». Traduction : la coalition vacille et la rue gronde. Mais beaucoup y voient surtout une manœuvre pour couper l’herbe sous le pied des opposants avant que la situation ne devienne totalement ingérable.
Six jours de combats et un bilan qui s’alourdit
Depuis dimanche, les affrontements armés n’ont pas cessé le long de la frontière disputée. Vingt morts au minimum, peut-être davantage, des deux côtés. C’est déjà plus long que l’épisode sanglant de juillet dernier, qui avait duré cinq jours et causé 43 victimes.
Dans la province de Surin, les centres d’accueil débordent. Des familles entières dorment sur des nattes posées à même le sol en béton. L’odeur de transpiration et de désespoir flotte dans l’air. Les enfants pleurent, les anciens fixent le vide. L’aide humanitaire arrive au compte-gouttes.
« Je veux simplement que le nouveau dirigeant, quel qu’il soit, soit quelqu’un qui aide les agriculteurs ordinaires comme nous »
Somrak Suebsoontorn, 68 ans, déplacée de Surin
Anutin Charnvirakul, l’homme qui voulait rendre le pouvoir au peuple
À 59 ans, le leader du parti conservateur Bhumjaithai incarne une trajectoire politique atypique. Ancien allié du clan Shinawatra, il s’est émancipé ces dernières années. C’est lui qui, en 2022, a porté la dépénalisation du cannabis, faisant de la Thaïlande le premier pays d’Asie du Sud-Est à franchir le pas.
Arrivé au pouvoir en septembre après la destitution de Paetongtarn Shinawatra, la fille de Thaksin, il avait promis des élections « d’ici début 2026 ». Personne n’imaginait qu’il avancerait le calendrier de presque un an, et surtout pas en pleine crise militaire.
Vendredi matin, devant les journalistes, il a lâché cette phrase lourde de sens : « J’ai préparé le projet de décret de dissolution dès le premier jour de ma nomination. ».
Un cessez-le-feu signé… puis suspendu
Le 26 octobre dernier, un accord de cessez-le-feu avait pourtant été paraphé sous l’égide du président américain Donald Trump. Les deux pays s’engageaient à faire taire les armes le long de cette frontière héritée de la période coloniale française et source de tensions récurrentes depuis des décennies.
Mais quelques semaines plus tard, l’explosion d’une mine terrestre a blessé plusieurs soldats thaïlandais. Bangkok a immédiatement suspendu l’accord. Depuis, les escarmouches n’ont fait que s’intensifier jusqu’à l’embrasement de ces derniers jours.
Donald Trump a annoncé cette semaine qu’il appellerait personnellement les dirigeants thaïlandais et cambodgien pour leur demander de cesser les hostilités. L’appel était prévu vendredi à 21 h 20 heure de Bangkok.
Bangkok loin du front, mais pas de la tempête politique
À des centaines de kilomètres de la zone des combats, la capitale continue de vivre à son rythme. Les embouteillages, les marchés de nuit, les temples scintillants… Mais sous la surface, l’instabilité chronique refait surface.
La Thaïlande reste ce pays où les gouvernements civils tombent aussi vite qu’ils arrivent. Depuis le coup d’État de 2014, aucun Premier ministre élu n’a terminé son mandat complet. Anutin Charnvirakul, même s’il part de son plein gré, s’inscrit dans cette longue lignée.
Les observateurs s’accordent à dire que le prochain scrutin sera extrêmement disputé. Le clan Shinawatra, malgré son affaiblissement, conserve une base fidèle dans le nord et le nord-est. Les conservateurs royalistes restent puissants dans le sud et à Bangkok. Et les progressistes de Move Forward, dissous l’an dernier, tentent de renaître sous une autre bannière.
Et maintenant ?
Jusqu’aux élections, Anutin Charnvirakul reste en poste pour expédier les affaires courantes. Autant dire qu’il va devoir gérer à la fois la crise humanitaire à la frontière et la campagne électorale qui s’annonce explosive.
Dans les centres d’hébergement, les déplacés regardent tout cela avec une immense lassitude. Pour eux, peu importe la couleur politique du prochain gouvernement. Ils veulent juste pouvoir rentrer chez eux, retrouver leurs champs, leurs buffles, leur vie d’avant.
Mais avec une frontière encore en feu et une classe politique incapable de stabilité, ce retour à la normale semble encore très lointain.
À retenir
- Dissolution surprise du Parlement thaïlandais ce vendredi
- Élections législatives prévues d’ici début février maximum
- Conflit armé à la frontière avec le Cambodge entré dans son 6e jour
- Plus de 300 000 déplacés côté thaïlandais
- Cessez-le-feu d’octobre suspendu après l’explosion d’une mine
La Thaïlande se trouve aujourd’hui à un carrefour dangereux. Entre les fracas des armes et le vide politique béant, le royaume vacille. Les prochaines semaines diront si le peuple, à qui on promet de rendre le pouvoir, parviendra à imposer un peu de calme dans cette tempête parfaite.









