ÉconomieInternational

Kazakhstan : Au Cœur des Nouvelles Routes de la Soie

Imaginez une petite gare perdue dans la steppe kazakhe qui traite aujourd’hui 85 % du fret ferroviaire entre la Chine et l’Europe. À Dostyk, les grues soulèvent des conteneurs géants à un rythme effréné… Mais jusqu’où ce hub peut-il encore grandir avant de saturer complètement ?

Dans l’immensité balayée par les vents de la steppe kazakhe, un chariot élévateur géant soulève avec précision des conteneurs de vingt tonnes. En quarante minutes à peine, un train de près de neuf cents mètres est prêt à traverser le continent. Nous sommes à Dostyk, une bourgade frontalière qui, en quelques années, est devenue l’un des points névralgiques du commerce mondial.

Dostyk, l’amitié qui pèse des milliards

Le nom « Dostyk » signifie tout simplement « amitié » en kazakh. Ironique et pourtant tellement juste : cette petite ville et sa jumelle chinoise Alashankou forment aujourd’hui la principale porte d’entrée terrestre entre la Chine et l’Europe. Plus de 85 % du fret ferroviaire sino-européen transite par le Kazakhstan, et Dostyk en est la plaque tournante incontestée.

Située aux portes de Djoungarie, à deux mille cinq cents kilomètres de la mer la plus proche, Dostyk défie l’enclavement. Tempêtes de poussière, bourrasques glaciales… rien n’arrête les grues qui empilent inlassablement les caissons marqués « Xi’an » ou « Zhengzhou ».

Un nœud stratégique au milieu de nulle part

Pour comprendre l’importance de ce lieu, il faut se représenter la carte. Le Kazakhstan, neuvième plus grand pays du monde, s’étend sur une superficie équivalente à cinq fois la France. Sans accès à la mer, il a pourtant réussi à devenir le pont terrestre le plus court entre l’usine du monde et les marchés européens.

Janat Outegoulov, responsable régional des chemins de fer kazakhs, ne mâche pas ses mots : « Dostyk est la plus grande gare du pays, un nœud d’échanges à l’export comme à l’import. » Des marchandises venues d’Europe, d’Asie, de Russie convergent ici avant de repartir dans l’autre sens.

« Un train de 39 wagons mesure environ 900 mètres. Nous effectuons cette opération en 40 minutes. »

Jandos Nourmagambetov, grutier à Dostyk

Le grand retour des caravanes… version XXIe siècle

L’histoire ne fait parfois que se répéter sous une forme modernisée. Après l’effondrement de l’URSS et la crise sino-soviétique des années 1960, la frontière était fermée. L’indépendance du Kazakhstan en 1991 a tout changé. Les premiers trains ont repris la route, timidement d’abord, puis massivement à partir de 2013.

Cette année-là marque le lancement officiel de l’initiative Belt and Road, plus connue sous le nom de Nouvelles Routes de la Soie. L’Asie centrale, longtemps périphérie oubliée, se retrouve projetée au centre d’un projet titanesque porté par Pékin.

Le calcul est simple : traverser le continent eurasiatique par le rail prend deux semaines là où le maritime en demande quatre à six, même sans les perturbations actuelles en mer Rouge. Et depuis 2022, l’itinéraire russe, historiquement dominant, est devenu risqué à cause des sanctions.

Le Corridor médian, l’alternative qui explose

C’est là qu’entre en scène le Corridor transcaspien, également appelé Corridor médian. Au départ de Dostyk ou de Khorgos plus au sud, les trains traversent le Kazakhstan, embarquent sur des ferries à travers la mer Caspienne, puis rejoignent l’Azerbaïdjan, la Géorgie et enfin l’Europe via la Turquie ou la mer Noire.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les données officielles relayées par la Banque mondiale, le volume transporté sur cet itinéraire a bondi de 668 % entre 2021 et 2024. Un essor directement lié à la volonté européenne de contourner la Russie.

À Dostyk, on prépare déjà l’avenir : une double voie ferrée ouvre cet automne, permettant de passer de 12 à 60 paires de trains par jour. Objectif : multiplier par cinq la capacité actuelle.

Quand deux mondes ferroviaires se rencontrent

Mais augmenter la cadence n’est pas si simple. Le défi technique est colossal : la Chine utilise l’écartement standard de 1 435 mm tandis que l’ex-URSS a conservé l’écartement large de 1 520 mm. À chaque passage de frontière, il faut donc soit changer les bogies, soit transborder les conteneurs.

Erlan Kajibekov, aiguilleur, passe ses journées devant un immense tableau lumineux où s’allument les feux rouges, jaunes et verts. « Des trains arrivent de Chine, nous les transférons sur la voie large, nous les répartissons et nous les envoyons vers l’Europe. Et vice-versa. » Un ballet parfaitement rodé, mais qui atteint parfois ses limites.

Les conducteurs comme Serik Naïmanchalov enchaînent les allers-retours. « Avant, Dostyk dormait. Aujourd’hui, grâce à la double voie, nous voyageons presque tous les jours. » À Alashankou, on dételle la locomotive kazakhe, on remet les documents, et une autre équipe prend le relais côté chinois.

Un pont d’or entre deux continents

Le président Kassym-Jomart Tokaïev l’a répété à plusieurs reprises : le Kazakhstan veut devenir « un pont d’or entre la Chine et l’Europe ». Le slogan n’est pas qu’une formule. Sur le quai en reconstruction de Dostyk, une stèle sera bientôt inaugurée avec l’inscription « Une ceinture, une route » en plusieurs langues.

Mais le chef de l’État a aussi prévenu : il ne faut pas se reposer sur ses lauriers. Les engorgements commencent à se faire sentir à Dostyk comme à Khorgos. D’où l’annonce d’un troisième poste frontière ferroviaire plus au nord, dont l’ouverture est prévue pour 2027.

En attendant, la steppe vibre au rythme des grues et des locomotives. Dans ce coin reculé du globe, on assiste en direct à la réécriture des grandes routes commerciales mondiales. Et le Kazakhstan, discret mais déterminé, est en train de prendre une place que peu auraient imaginée il y a encore vingt ans.

La prochaine fois que vous recevrez un colis « Made in China » livré étonnamment vite, pensez peut-être à Jandos et à son immense grue jaune, quelque part au milieu de l’immense steppe, en train de charger le train qui, peut-être, apportera jusqu’à votre porte le fruit de cette nouvelle route de la soie.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.