Imaginez ouvrir un colis tout juste livré par un géant du e-commerce asiatique et y découvrir une poupée sexuelle à l’apparence d’un enfant de quelques années seulement. Cette scène, aussi glaçante soit-elle, n’est pas tirée d’un film d’horreur. Elle s’est produite chez une vingtaine de Français ces derniers mois.
Une opération nationale d’ampleur contre un trafic discret
Mercredi dernier, une vague d’interpellations simultanées a eu lieu aux quatre coins de la France. Une vingtaine d’hommes, âgés de vingt à presque soixante-dix ans, ont été arrêtés dans le cadre d’enquêtes sur l’acquisition de poupées sexuelles à caractère pédopornographique.
Ces objets, commandés principalement sur les plateformes Shein et AliExpress, représentent des enfants, parfois très jeunes, dans une finalité ouvertement sexuelle. Leur vente, leur importation et leur détention sont strictement interdites en France.
« Ce sont des représentations sexuelles d’enfants, parfois très jeunes, à des fins sexuelles »
Aurélie Besançon, cheffe de l’Office central pour la répression des violences aux mineurs (Ofmin)
Qui sont les personnes interpellées ?
Le profil des acheteurs surprend par sa diversité. On ne trouve pas de « type » unique. Certains sont pères de famille sans antécédents judiciaires, d’autres étaient déjà fichés pour des faits touchant des mineurs.
Parmi la vingtaine d’interpellés, sept étaient connus des services de police ou de justice pour des affaires de pédocriminalité. Les autres étaient totalement inconnus des forces de l’ordre jusqu’à ce jour.
Cette absence de profil type rappelle les grandes affaires de consommation de contenus pédopornographiques sur internet : le phénomène touche toutes les tranches d’âge et tous les milieux sociaux.
Deux premiers procès déjà programmés
À Annecy, un homme né en 1959, sans aucun antécédent, a été déféré jeudi. Il sera jugé le 21 janvier 2026. En attendant, il a été placé sous contrôle judiciaire strict.
Dans le Nord, près de Cambrai, un second suspect de 27 ans a également été présenté à la justice. Chez lui, la poupée n’a pas été retrouvée lors de la perquisition, mais les enquêteurs ont mis la main sur des images pédopornographiques générées par intelligence artificielle. Son procès est fixé au 28 avril 2026.
Ces deux affaires ne sont que les premières. Les autres dossiers sont encore en cours d’instruction et devraient donner lieu à de nouvelles comparutions dans les mois qui viennent.
Comment cette affaire a-t-elle éclaté ?
Tout a commencé début novembre. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) détecte la mise en vente de ces poupées sur plusieurs plateformes asiatiques très populaires : Shein, AliExpress, Temu et Wish.
Un signalement immédiat est transmis au parquet de Paris, qui ouvre quatre enquêtes distinctes. Elles sont confiées à l’Office mineurs (Ofmin), unité spécialisée de la police judiciaire.
Grâce aux données de paiement et aux adresses de livraison, les enquêteurs parviennent à identifier rapidement une vingtaine d’acheteurs résidant en France métropolitaine.
Chronologie express de l’opération
- Début novembre → Signalement DGCCRF
- Mi-novembre → Ouverture de quatre enquêtes par le parquet de Paris
- Mercredi dernier → Vague d’interpellations simultanées
- Jeudi → Premiers déferrements (Annecy et Cambrai)
- Janvier et avril 2026 → Premiers procès
L’argument « je ne savais pas que c’était interdit » ne passe plus
Certains acheteurs ont tenté de se défendre en arguant que ces poupées étaient vendues librement sur des sites grand public. Pour les autorités, cet argument ne tient pas.
« L’argument que l’on a pu entendre parfois de “ventes libres” par ces sites comme paravent à la connaissance de cette illégalité n’est pas audible »
Commissaire Aurélie Besançon
La loi française est claire depuis plusieurs années : la détention d’une représentation d’un mineur à caractère pornographique, même sous forme de poupée ou de mannequin, est punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 227-23 du Code pénal).
Un phénomène plus large que les seules poupées
L’affaire met aussi en lumière l’explosion des contenus pédopornographiques générés par intelligence artificielle. L’un des suspects n’avait plus la poupée physique, mais possédait des milliers d’images créées numériquement.
Ces images, bien que « virtuelles », tombent sous le coup de la même répression pénale. Les tribunaux considèrent qu’elles participent à la même logique de sexualisation des enfants et peuvent servir de passerelle vers des actes réels.
Les associations de protection de l’enfance alertent depuis des mois sur cette nouvelle menace, beaucoup plus difficile à tracer que les contenus réels.
Que risquent réellement les acheteurs ?
Outre les peines prévues par l’article 227-23, les personnes déjà connues pour des faits sur mineurs s’exposent à des condamnations beaucoup plus lourdes, avec suivi socio-judiciaire, inscription au FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles) et interdiction d’exercer toute activité en contact avec des enfants.
Le contrôle judiciaire imposé aux deux premiers mis en cause comprend généralement remise du passeport, interdiction de quitter le territoire, obligation de soins et interdiction d’approcher des mineurs.
Dans les cas les plus graves, la justice peut prononcer une injonction de soins avec placement en centre spécialisé.
Vers un durcissement de la lutte contre les plateformes ?
Cette opération relance le débat sur la responsabilité des grandes plateformes de e-commerce. Si Shein et AliExpress ont retiré les produits signalés, la rapidité avec laquelle ils réapparaissent sous d’autres références pose question.
Les autorités françaises envisagent désormais des coopérations renforcées avec ces géants asiatiques, voire des sanctions financières directes en cas de récidive.
L’affaire rappelle aussi que derrière chaque clic « ajouter au panier » se cache parfois une réalité bien plus sombre que le simple achat d’une simple robe ou d’un gadget.
Au-delà des interpellations, c’est tout un pan de la pédocriminalité 2.0 qui se trouve exposé au grand jour. Et cette opération n’est probablement que la première d’une longue série.
À suivre de très près en 2026, lors des premiers procès, mais aussi dans les mois qui viennent avec les suites données aux autres dossiers.









