Imaginez la scène : les écrans des traders virent au rouge sang sur l’ensemble du marché crypto, Bitcoin qui vacille sous les 91 000 dollars, Ethereum qui dégringole de plus de 5 % en quelques heures… et pendant ce temps, le Dow Jones s’envole de 600 points pour inscrire un nouveau record historique. Cette divergence brutale n’est pas un accident. Elle signe le grand retour d’une rotation sectorielle que beaucoup croyaient enterrée depuis 2021.
Une rotation sectorielle d’une violence rare
Ce jeudi 11 décembre 2025 restera probablement dans les annales comme le jour où les marchés traditionnels et cryptomonnaies ont pris des chemins radicalement opposés. D’un côté, les trente géants industriels du Dow Jones ont bondi de 1,3 %, portés par l’espoir d’une économie réelle enfin relancée par les baisses de taux de la Fed. De l’autre, la capitalisation totale du marché crypto a fondu de 2,3 %, retombant autour des 3 200 milliards de dollars.
97 des 100 plus grosses cryptomonnaies étaient dans le rouge. Même les memecoins, habituellement décorrélés, ont plongé : Pepe –6,6 %, Bonk –6,4 %, Popcat –6,2 %. Un bain de sang généralisé.
Le déclencheur : l’effet domino des résultats d’Oracle
Tout a commencé avec Oracle. Le géant des bases de données a publié des résultats en demi-teinte, révélant surtout une dette colossale de plus de 100 milliards de dollars contractée pour construire des data-centers dédiés à l’intelligence artificielle. Le marché a immédiatement traduit : « Si même Oracle peine à monétiser l’IA aussi vite qu’espéré, alors les valorisations stratosphériques de Nvidia, Broadcom ou AMD sont peut-être en surchauffe. »
Le Nasdaq a décroché, les « Magnificent Seven » ont tous terminé en baisse, et les investisseurs ont commencé à déplacer leurs pions vers des secteurs plus cycliques : industrie lourde, finance traditionnelle, énergie, matières premières. Exactement le type de valeurs qui composent le Dow Jones.
La Fed a coupé les taux… mais pas pour tout le monde
La veille, la Réserve fédérale américaine avait pourtant offert un beau cadeau de Noël anticipé : une troisième baisse consécutive des taux directeurs, portant le corridor à 3,50 %–3,75 %. Normalement, une telle décision dope les actifs risqués, crypto en tête. Sauf que cette fois, le message implicite était différent.
En soulignant qu’aucune hausse n’était prévue à court terme mais sans promettre d’accélérer le rythme des baisses, Jerome Powell a surtout rassuré les petites et moyennes entreprises endettées. Celles qui composent le Russell 2000, l’indice des small-caps, qui a lui aussi atteint un sommet historique ce jeudi (+1,3 %).
« Les conditions financières restent accommodantes profitent avant tout aux entreprises capables de refinancer leur dette à moindre coût, pas forcément aux géants tech déjà assis sur des montagnes de cash. »
Un gérant de hedge fund new-yorkais, sous couvert d’anonymat
Les ETF crypto continuent pourtant d’attirer l’argent institutionnel
Voici le paradoxe le plus fascinant de la journée. Malgré la correction violente des prix, les flux sur les ETF restent très largement positifs :
- ETF Bitcoin spot : +224 millions de dollars d’entrées nettes
- ETF Ethereum spot : +57,6 millions de dollars
- ETF XRP (depuis le lancement de Canary Capital en novembre) : déjà 954 millions de dollars cumulés
Autrement dit, les institutionnels continuent d’acheter la baisse. Ils considèrent visiblement ce mouvement comme une simple consolidation dans un marché haussier de long terme, pas comme le début d’un bear market.
Résumé des flux ETF au 10 décembre 2025
| Produit | Flux net (USD) |
|---|---|
| Bitcoin Spot ETF | +224 M |
| Ethereum Spot | +57,6 M |
| XRP Spot (depuis lancement) | +954 M |
Le Fear & Greed Index crypto retombe dans la peur
L’indicateur le plus suivi de la sentiment crypto a perdu un point supplémentaire, passant de 30 à 29. On reste donc fermement en zone « Fear ». Historiquement, ces niveaux extrêmes ont souvent marqué des points d’entrée intéressants pour les contrarians.
Mais attention : tant que le Dow continue de surperformer, la pression vendeuse sur les actifs risqués « non productifs » (crypto, growth tech) pourrait perdurer plusieurs semaines.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
Scénario 1 – Rotation temporaire
Les investisseurs prennent simplement des bénéfices sur la tech et la crypto après deux années de hausse exceptionnelle, tout en repositionnant sur les retardataires cycliques. Un simple rééquilibrage de fin d’année. Dans ce cas, Bitcoin pourrait rebondir dès que le « Santa Claus Rally » traditionnel de fin décembre.
Scénario 2 – Changement de régime durable
La croissance économique réelle reprend le dessus, l’inflation reste collante, et la Fed doit ralentir ses baisses de taux. Les actifs risqués sans rendement (crypto, certaines tech) souffrent pendant plusieurs trimestres. On revient alors vers les niveaux de support majeurs : 74 000 $ pour Bitcoin, 2 500 $ pour Ethereum.
Scénario 3 – Décorrélation totale
Les institutionnels via les ETF continuent d’absorber toute la vente au détail paniquée. Le prix spot baisse, mais les primes des ETF explosent, créant une bulle de papier déconnectée du marché sous-jacent. Scénario rare mais déjà vu en 2021 avec les trusts Grayscale.
Ce que cela nous apprend sur 2026
Plusieurs éléments structurels vont influencer l’année prochaine :
- Changement potentiel à la tête de la Fed (mandat de Powell qui s’achève)
- Midterms américaines qui pourraient rebattre les cartes réglementaires
- Capacité réelle des géants tech à transformer leurs investissements IA en cash-flow
- Évolution de la dette souveraine américaine et son impact sur le dollar
Dans tous les cas, la corrélation historique entre Bitcoin et le Nasdaq (autour de 0,7–0,8 ces dernières années) semble se fissurer. C’est peut-être le début d’une maturité du marché crypto… ou simplement une pause avant la prochaine jambe de hausse.
Une chose est sûre : les prochains jours vont être passionnants. Les 90 000 $ sur Bitcoin et les 3 200 $ sur Ethereum sont des niveaux psychologiques majeurs. S’ils cèdent, la correction pourrait s’accélérer. S’ils tiennent, les acheteurs institutionnels auront probablement le dernier mot.
En attendant, le grand spectacle de la finance continue : d’un côté les taureaux traditionnels qui chargent, de l’autre les ours crypto qui grognent. Et nous, simples observateurs, avons le privilège d’assister en direct à l’un des plus grands transferts de richesse de l’histoire moderne.
Alors, qui va gagner cette bataille ? Les vieux géants industriels ou les jeunes loups numériques ? Réponse dans quelques semaines… voire quelques jours.
