Imaginez un pays de 170 millions d’habitants qui, en l’espace de quelques mois, fait tomber une dirigeante accusée d’autoritarisme et se retrouve à l’aube d’un scrutin présenté comme le plus important de son histoire. C’est exactement ce qui se passe au Bangladesh en ce début d’année.
Le 12 février, un double rendez-vous décisif
La commission électorale vient d’annoncer la tenue des élections législatives le 12 février prochain. Le même jour, les citoyens seront appelés à se prononcer par référendum sur une série de réformes constitutionnelles majeures. Deux votes en un seul jour, pour tenter de refermer la parenthèse violente ouverte à l’été 2024.
Ces réformes, portées par le gouvernement intérimaire, visent à empêcher le retour de tout régime autocratique. Elles limitent notamment à deux le nombre de mandats consécutifs du Premier ministre, renforcent les pouvoirs du président et réaffirment le caractère multiethnique et multireligieux du pays.
Un contexte marqué par la violence de 2024
L’été dernier, le Bangladesh a connu ses pires émeutes depuis l’indépendance. Des manifestations estudiantines contre un système de quotas dans la fonction publique ont dégénéré en révolte massive contre le pouvoir de Sheikh Hasina. Bilan officiel reconnu par l’ONU : au moins 1 400 morts, majoritairement des civils.
Accusée d’avoir ordonné l’usage de la force létale, l’ancienne Première ministre a fui le pays en août 2024. Elle a depuis été condamnée à mort par contumace – une sentence qu’elle conteste vigoureusement depuis son exil indien.
Son parti, la Ligue Awami, qui dominait la vie politique depuis quinze ans, a été interdit et ne participera pas au scrutin à venir. Un bouleversement total du paysage politique.
Muhammad Yunus, l’homme de la transition
Depuis la chute de Sheikh Hasina, c’est le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus qui dirige le gouvernement provisoire. À 84 ans, l’inventeur du microcrédit appelle à une participation massive :
« Je prie instamment tout le monde de participer à l’élection et au référendum, et à contribuer à en faire un succès historique dans le processus démocratique du pays »
Il ajoute espérer que ces scrutins permettront de « construire un pays moderne, juste et prospère ». Une promesse lourde dans un pays où la confiance envers les institutions reste profondément entamée.
Le grand retour du BNP
Le principal bénéficiaire de cette nouvelle donne nouvelle semble être le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Longtemps réprimé sous Sheikh Hasina, il fait aujourd’hui figure de favori.
Initialement, la campagne devait être menée par Khaleda Zia, ancienne Première ministre et grande rivale de Sheikh Hasina. À 80 ans, elle envisageait même de se présenter pour un quatrième mandat. Mais une hospitalisation en urgence le mois dernier à Dacca a tout changé.
Son état de santé reste préoccupant et un transfert médical vers le Royaume-Uni est envisagé. C’est donc son fils, Tarique Rahman, qui prendra les rênes de la campagne depuis son exil londonien. Condamné pour corruption en 2008, il dirige le BNP à distance depuis seize ans.
Un responsable du parti, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, a qualifié ces élections de « moment très significatif dans l’histoire politique du Bangladesh » et espère un scrutin « libre, honnête et festif ».
Les islamistes de retour sur la scène
Autre grand changement : le Jamaat-e-Islami, principal parti islamiste, interdit sous l’ère Hasina, fait son retour en force. Il a multiplié les rassemblements de masse ces derniers mois et devrait constituer un allié de poids pour le BNP.
Cette résurgence inquiète une partie de la société civile, qui redoute un glissement conservateur après des années de sécularisme relatif sous la Ligue Awami.
La colère étudiante veut sa part du gâteau
Les étudiants qui ont fait tomber Sheikh Hasina n’entendent pas rester simples spectateurs. Ils ont créé le Parti national des citoyens (NCP) et comptent transformer leur énergie contestataire en sièges au parlement.
Leur objectif : représenter cette jeunesse qui a payé le prix fort lors des manifestations de 2024 et qui réclame une véritable rupture avec l’ancien système.
Un référendum aux enjeux immenses
Le référendum du 12 février ne sera pas un simple complément. La charte de réformes, adoptée en octobre après d’intenses négociations, constitue le cœur du projet de Muhammad Yunus.
Les principales mesures proposées :
- Limitation à deux mandats consécutifs pour le Premier ministre
- Renforcement des pouvoirs du président de la République
- Suppression de certaines dispositions jugées autoritaires
- Réaffirmation du caractère multiethnique et multireligieux du Bangladesh
- Renforcement de l’indépendance de la justice et de la commission électorale
Un rejet de ces réformes pourrait replonger le pays dans l’instabilité et remettre en cause toute la transition en cours.
Vers une démocratie apaisée ou de nouvelles tensions ?
À moins de deux mois du scrutin, l’atmosphère reste électrique. Les partisans de Sheikh Hasina, bien que désorganisés, n’ont pas tous renoncé. Des violences sporadiques continuent dans certaines régions.
La communauté internationale observe avec attention. L’Union européenne, les États-Unis et l’Inde ont tous appelé à des élections crédibles et inclusives.
Le 12 février 2026 pourrait marquer la naissance d’un « nouveau Bangladesh »… ou l’ouverture d’une nouvelle période d’incertitude. Une chose est sûre : rarement un scrutin aura porté autant d’espoirs et de craintes à la fois.
Le compte à rebours est lancé.









