Il y a des disparitions qui font l’effet d’un écran qui s’éteint brutalement au milieu d’un générique qu’on adore. Mercredi 10 décembre 2025, Jean-Paul Rouve a publié un message qui a glacé des milliers de fans de la grande époque Canal+. Alexandre Drubigny, ce nom peut-être moins connu du grand public que ceux qu’il a lancés, vient de nous quitter à l’âge de 58 ans. Et pourtant, sans lui, la télévision française des années 2000 n’aurait jamais eu la même saveur.
L’homme qui murmurait à l’oreille des humoristes
Alexandre Drubigny n’était pas un animateur, pas un comique, pas une tête d’affiche. Il était bien plus rare : un dénicheur de talents, un architecte de concepts, un directeur artistique capable de transformer une idée folle en machine à éclats de rire collective. Chez Canal+, dans ces années où la chaîne cryptée réinventait l’humour français, il était partout sans jamais être devant la caméra.
Quand on repense à cette période dorée, on voit les Robins des Bois, Marina Foïs, Pierre-François Martin-Laval, Maurice Barthélemy, Elise Larnicol, Jean-Paul Rouve… Mais derrière les sketchs cultes, il y avait lui. Alexandre Drubigny dirigeait les programmes de la chaîne Comédie ! et produisait La Grosse Émission, ce joyeux bordel quotidien qui a révélé toute une génération.
« Alex était l’un des hommes les plus créatifs, les plus dynamiques que j’aie jamais rencontrés. Une énergie rare, un talent immense, une façon unique de voir le monde. »
Un proche collaborateur sous le post de Jean-Paul Rouve
L’invention d’En aparté : quand une simple porte a changé la télé
Parmi toutes ses créations, une reste gravée dans toutes les mémoires : En aparté. À l’époque, en 2001, l’idée semblait complètement folle : installer une star dans un appartement truffé de caméras, la laisser seule, et filmer ce qui se passe quand plus personne ne la regarde. Pas de présentateur, pas de public, juste l’invité face à lui-même et une voix off qui pose les questions.
Le premier à se prêter au jeu ? Yannick Noah. Puis ce fut Catherine Deneuve, Johnny Hallyday, Jean Reno, Gad Elmaleh… Tous sont passés par cette petite porte rouge devenue mythique. Le concept a tellement marqué les esprits qu’il a été relancé vingt ans plus tard avec Nathalie Lévy, preuve que Drubigny avait vu juste bien avant tout le monde.
Ce qui rendait En aparté génial, c’était cette intimité volée, cette impression de rentrer dans le salon de l’invité quand il croit être seul. Et tout ça, c’était lui. Son idée, sa patte, sa vision.
Un parcours sans faute dans l’ombre des projecteurs
Après avoir participé à la refonte complète de la grille de Canal+ au début des années 2000, Alexandre Drubigny a choisi de voler de ses propres ailes. En 2004, il fonde Think Factory, puis s’associe au groupe Telfrance pour créer Done Deal Productions. Des structures qui ont continué à produire des formats malins, toujours un peu en avance sur leur temps.
Il avait cette capacité rare à sentir l’air du temps, à comprendre que le public voulait de l’authenticité, de l’imprévu, de l’humain. À une époque où la télévision devenait de plus en plus formatée, lui poussait les curseurs dans l’autre sens : plus de liberté, plus de risque, plus de vérité.
« J’espère que tu as trouvé la paix »
– Jean-Paul Rouve, 10 décembre 2025
Des hommages qui disent tout l’amour qu’on lui portait
Depuis l’annonce, les messages pleuvent. Des anciens collaborateurs, des artistes, des techniciens, tous racontent la même chose : un homme généreux, brillant, toujours en mouvement. Quelqu’un qui savait écouter une idée à 3h du matin et la transformer en émission culte dès le lendemain.
On lit des phrases comme « Il voyait le potentiel là où personne d’autre ne regardait », « Il avait une confiance absolue en nous », « Travailler avec Alex, c’était comme faire partie d’une bande de potes qui changeait la télé ».
Ces mots-là, on ne les invente pas. Ils disent la vérité d’un homme qui a préféré rester dans l’ombre pour mieux faire briller les autres.
Et maintenant ?
La télévision française perd aujourd’hui un de ses plus beaux cerveaux créatifs. Pas le plus bruyant, pas le plus médiatique, mais sûrement l’un des plus influents de sa génération. Ceux qui ont grandi avec La Grosse Émission, qui ont découvert l’humour décalé grâce à Comédie !, qui ont été scotchés devant En aparté lui doivent beaucoup.
À 58 ans seulement, Alexandre Drubigny avait encore tant à inventer. On ne saura jamais quels formats il aurait pu imaginer pour la télé de demain. Mais ce qu’il a déjà laissé derrière lui suffit à faire une carrière exceptionnelle.
Alors merci, Alexandre. Merci pour les rires, pour les concepts fous, pour avoir cru en des humoristes quand personne d’autre n’osait. Tu as changé la télé française sans jamais chercher à apparaître à l’écran. Et ça, c’est la plus belle des signatures.
Repose en paix.









