Imaginez dormir sous une simple toile de tente, chassé de chez vous par des obus qui tombent à quelques kilomètres. C’est la réalité de plus d’un demi-million de personnes, cette semaine, le long de la frontière cambodgienne et thaïlandaise.
Un « roi du monde » pour certains, un intrus pour d’autres
Het Soeung a 73 ans. Elle a tout laissé derrière elle pour se réfugier dans un centre d’accueil de Chong Kal, province d’Oddar Meanchey. Quand sa fille lui parle au téléphone de Donald Trump qui promet d’« arrêter la guerre d’un coup de fil », la vieille dame sourit pour la première fois depuis des jours.
« Il est puissant, c’est le roi du monde »
Het Soeung, déplacée cambodgienne
À ses côtés, Bay Mao, ancien soldat de 64 ans, va encore plus loin. Il donne 95 % de chances de succès au président américain. Pour eux, l’homme qui a déjà prouvé qu’il savait faire taire les canons : il avait contribué, avec la Chine et la Malaisie, à éteindre un précédent embrasement qui avait fait 43 morts en cinq jours.
Un cessez-le-feu signé… et déjà rompu
Le 26 octobre dernier, Donald Trump avait cosigné avec les Premiers ministres thaïlandais et cambodgien un accord de cessez-le-feu. Moins de deux mois plus tard, les combats ont repris de plus belle. Dix-neuf morts officiellement, des villages rasés, des écoles fermées, des routes minées.
Pourtant, le milliardaire républicain n’a pas hésité. Devant ses partisans en Pennsylvanie, il a lancé, presque désinvolte :
« Demain, je passe un coup de fil et je pense qu’ils comprendront. »
Le lendemain, il confirmait vouloir appeler personnellement Anutin Charnvirakul et Hun Manet. « J’ai déjà réglé ça une fois », a-t-il rappelé, laissant entendre que le Nobel de la paix le titille toujours.
Du côté thaïlandais, l’accueil est glacial
À Surin, province thaïlandaise voisine, l’ambiance est radicalement différente. Mala Klumya, agricultrice de 51 ans, veille sur ses cinq petits-enfants sous une tente moustiquaire. Pour elle, l’époque des médiations étrangères est révolue.
« Dites aux pays tiers de ne plus essayer de négocier. Ce temps-là est passé. »
Mala Klumya
Son voisin Eia Torkaew, 73 ans, renchérit : il ne veut plus de discussions, juste que « cela s’arrête » pour que les gens ordinaires puissent « travailler et vivre sans peur ».
Même le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul, pourtant poli, reste sceptique. Il a déclaré jeudi qu’il expliquerait au président américain « quels sont les problèmes et pourquoi la situation a évolué ainsi », laissant entendre que quelques appels téléphoniques ne suffiront pas.
Un conflit ancien ranimé par un temple millénaire
Le cœur du différend reste le temple de Preah Vihear, classé au patrimoine mondial par l’Unesco en 2008 sous pavillon cambodgien, mais dont les abords sont revendiqués par Bangkok. Depuis 1962, la Cour internationale de Justice a tranché en faveur de Phnom Penh, mais les accrochages n’ont jamais vraiment cessé.
Chaque flambée ravive les nationalismes. Les réseaux sociaux débordent de vidéos d’artillerie, de blindés et de drapeaux. Les deux armées se regardent en chiens de faïence, et la population paie le prix fort.
Entre espoir irrationnel et lassitude profonde
Ce qui frappe dans cette crise, c’est le fossé entre l’espérance presque enfantine de certains déplacés cambodgiens et le rejet viscéral de nombreux Thaïlandais. D’un côté, on projette sur Trump une puissance quasi magique ; de l’autre, on ressent toute intervention étrangère comme une nouvelle humiliation.
Het Soeung le dit elle-même avec une touchante candeur : « Même s’il n’y arrivait pas, on ne pourrait pas lui en vouloir. » Comme si l’échec était déjà intégré, mais que l’espoir, lui, valait tout.
En face, Mala Klumya pose une question brutale : « Si des combats comme ceux-là avaient lieu aux États-Unis, est-ce que Trump écouterait quelqu’un d’autre ? » La réponse semble évidente.
Et maintenant ?
Les téléphones vont sonner à Bangkok et Phnom Penh. Les photos officielles seront prises, les communiqués pleins de bonne volonté publiés. Mais sur le terrain, les déplacés continueront de dormir sous des tentes, les enfants de manquer l’école, et les agriculteurs de craindre pour leurs champs.
Parce qu’un conflit vieux de plusieurs décennies ne se règle pas d’un claquement de doigts, même quand ces doigts ont tweeté depuis la Maison Blanche.
Entre la foi naïve en un « roi du monde » et le refus catégorique d’une nouvelle ingérence, une seule chose est sûre : ce sont toujours les civils qui trinquent. Et pendant que les diplomates discutent, les obus, eux, ne prennent pas de pause.









