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Protoxyde d’Azote : Quand la Radio Publique Enseigne aux Jeunes à Mieux le Consommer

Ce matin à 8h, sur la principale radio publique française, une formatrice d’Addiction France a expliqué aux auditeurs, dont de nombreux jeunes, la façon « optimale » de consommer du protoxyde d’azote. Conseils pratiques, ton posé, aucune mise en garde forte… Jusqu’où va la « réduction des risques » ?

Imaginez-vous en train de prendre votre petit-déjeuner. La radio nationale diffuse son journal de 8 heures, cette tranche horaire familiale par excellence. Et là, entre deux titres sur la météo et les grèves, une voix calme explique à l’antenne comment un adolescent peut consommer du protoxyde d’azote de la « manière la plus sûre possible ». Pas de ton alarmiste. Pas de « surtout n’en prenez pas ». Non : des conseils concrets pour limiter les risques. Cette scène a bel et bien eu lieu ce mardi 10 décembre 2025.

Une séquence qui laisse pantois

La chroniqueuse invite Alice, présentée comme formatrice chez Addiction France, association reconnue d’utilité publique et financée en grande partie par l’État. Le sujet ? Le protoxyde d’azote, plus connu sous le nom de « gaz hilarant », dont la consommation explose chez les 15-25 ans depuis cinq ans.

Ce que beaucoup attendaient : une mise en garde ferme sur les dangers (paralysies, troubles neurologiques, accidents graves, voire décès). Ce qu’ils ont eu : un guide pratique de « consommation optimale ».

« Il ne faut surtout pas mettre la cartouche directement à la bouche, ça peut geler les voies respiratoires… Préférez un ballon, c’est beaucoup plus sûr. Et pensez à bien oxygéner entre deux inhalations. »

Alice, formatrice Addiction France, le 10 décembre 2025 à 8h

Le ton est posé, professionnel, presque bienveillant. On croirait entendre un conseil pour bien faire son café. Sauf qu’on parle d’une substance classée comme stupéfiant depuis 2021 et dont les urgences neurologiques liées à l’usage ont été multipliées par 10 en cinq ans.

La doctrine de la « réduction des risques » poussée à l’extrême

Depuis les années 1990, la France a adopté la politique de réduction des risques (RDR). L’idée initiale était noble : puisque certains consomment malgré l’interdit, autant leur donner les moyens de le faire avec le moins de dommages possible (seringues propres pour les héroïnomanes, salles de consommation, etc.).

Mais avec le protoxyde d’azote, on atteint un nouveau palier. La substance est légale à la vente (pour la cuisine), très bon marché (une cartouche coûte moins d’1 euro), facilement détournable, et touche une population très jeune, souvent sans antécédent addictif. Donner des conseils de « bonne consommation » revient-il encore à réduire les risques… ou à banaliser purement et simplement l’usage ?

  • 2018 : premières alertes des urgences hospitalières
  • 2021 : interdiction de vente aux mineurs et classement stupéfiant
  • 2023 : plus de 60 cas graves de neuropathies recensés
  • 2025 : multiplication des saisies dans les lycées et collèges
  • 2025 : conseils de consommation « optimale » à la radio publique

Le curseur semble avoir dangereusement glissé.

Que dit vraiment la science sur le protoxyde d’azote ?

Le protoxyde d’azote (N2O) inactive la vitamine B12 dans l’organisme. Sans B12, la myéline (gaine des nerfs) se détruit. Résultat : engourdissements, troubles de l’équilibre, paralysies, et dans les cas les plus graves, tétraplégie définitive. Les neurologues parlent aujourd’hui d’une « épidémie silencieuse ».

Un adolescent de 17 ans hospitalisé à Lille en 2024 témoigne encore aujourd’hui marcher avec des béquilles après avoir consommé « seulement » une boîte de 50 cartouches en une soirée. Les médecins sont formels : il n’existe aucun seuil de consommation « sûr ». Même quelques cartouches par semaine peuvent déclencher des lésions irréversibles.

Données 2025 de l’ANSM (Agence du médicament) :
– 128 hospitalisations pour lésions neurologiques graves liées au protoxyde
– 65 % des patients ont moins de 25 ans
– 25 % garderont des séquelles à vie

Un message ambigu pour des millions d’auditeurs

À 8 heures du matin, la tranche d’information atteint plusieurs millions d’auditeurs, dont des centaines de milliers de collégiens et lycéens qui écoutent la radio en famille ou dans les transports. Le message reçu ? « Le protoxyde, c’est dangereux, mais si vous le faites quand même, voici la bonne méthode. »

Beaucoup de parents ont réagi avec stupeur sur les réseaux sociaux. L’un d’eux résume le sentiment général : « Ma fille de 14 ans m’a demandé si elle pouvait acheter un pack de cartouches “en faisant attention comme la dame a dit”. Merci pour le tuyau. »

Addiction France : entre mission de prévention et dérapage ?

L’association, anciennement ANPAA, est financée à plus de 70 % par les fonds publics (Sécurité sociale, MILDECA, ARS). Sa doctrine officielle reste la réduction des risques. Mais certains professionnels de terrain s’inquiètent d’un glissement progressif vers une forme d’accompagnement de la consommation plutôt que de prévention réelle.

Un médecin addictologue bordelais, sous couvert d’anonymat, confie : « On nous demande aux éducateurs de ne surtout pas “moraliser” l’usage. Résultat : on se retrouve à distribuer des ballons avec le logo de l’association lors de festivals. C’est devenu complètement fou. »

Et ailleurs en Europe ?

Le Royaume-Uni a purement et simplement interdit la possession de protoxyde d’azote en novembre 2023 (classe C). Les Pays-Bas ont suivi en 2024 avec une interdiction totale hors usage médical et alimentaire. En Allemagne, les cartouches de plus de 8 g sont interdites à la vente depuis cette année.

La France, elle, maintient la vente libre des petites cartouches tout en multipliant les messages de « consommation responsable ». Une position que de nombreux spécialistes jugent intenable.

Vers une prise de conscience tardive ?

Après l’émotion suscitée par cette séquence matinale, plusieurs députés ont annoncé vouloir déposer une proposition de loi pour interdire totalement la vente de cartouches au grand public, comme au Royaume-Uni. Le ministre de la Santé a été interpellé en urgence.

En attendant, des milliers de jeunes ont entendu ce matin qu’il existait une « bonne façon » de se défoncer au gaz hilarant. Et ça, aucune réduction des risques ne pourra l’effacer.

Car au final, la question n’est pas seulement sanitaire. Elle est sociétale : jusqu’où une société accepte-t-elle d’accompagner l’autodestruction de sa jeunesse au nom d’un pragmatisme mal compris ?

La réponse, glaçante, semble avoir été donnée ce matin à 8h12 précises, entre la météo et le cours de l’euro.

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