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Birmanie : 10 Militants Traqués pour Avoir Défie la Junte

Ce mercredi, à l’aube, un petit groupe a jeté des tracts anti-élections dans un marché de Mandalay en criant « Le système dictatorial est l’ennemi commun ». Résultat : dix militants, dont le célèbre Tayzar San, sont désormais traqués par la junte avec jusqu’à dix ans de prison à la clé. Mais pourquoi ce scrutin prévu le 28 décembre fait-il trembler tout le régime ? La réponse risque de vous surprendre…

Imaginez-vous marcher dans un marché encore endormi, juste avant le lever du soleil. Soudain, une poignée de silhouettes surgit, lance des tracts multicolores en l’air et crie à pleins poumons que la dictature est l’ennemi de tous. Quelques secondes plus tard, plus rien. Juste des feuilles qui retombent doucement sur les étals. C’est exactement ce qui s’est passé la semaine dernière à Mandalay, et cela vaut aujourd’hui à dix personnes d’être activement recherchées par la junte birmane.

Un acte de défi qui coûte cher

Mercredi dernier, un petit groupe de militants a profité de l’heure où les rues sont encore calmes pour manifester ouvertement contre les élections législatives que le régime militaire veut organiser à partir du 28 décembre. Leur méthode ? Simple, rapide et symbolique : crier des slogans hostiles au scrutin et disperser des tracts dans un marché populaire du centre de Mandalay.

La réponse de la junte ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué laconique, elle a annoncé rechercher huit hommes et deux femmes, accusés d’avoir « semé la confusion dans la population » à propos des activités électorales. Le texte précise que ces actes tombent sous le coup d’une loi punissant l’opposition organisée au processus électoral… d’une peine pouvant atteindre dix ans de prison.

Tayzar San, le visage de la résistance à Mandalay

Parmi les dix noms figurant sur la liste des personnes recherchées apparaît celui de Tayzar San. Ce leader local du mouvement prodémocratie est devenu une figure incontournable de la contestation dans la deuxième ville du pays. Depuis le coup d’État de février 2021, il échappe miraculeusement aux rafles répétées des forces de sécurité.

Une vidéo postée sur son compte Facebook (plateforme pourtant bloquée en Birmanie depuis quatre ans) le montre, poing levé, au milieu du marché : « Le système dictatorial est l’ennemi commun du pays », lance-t-il avant que le groupe ne disparaisse aussi vite qu’il est arrivé.

« Le système dictatorial est l’ennemi commun du pays »

Tayzar San, dans la vidéo diffusée sur les réseaux

Des élections présentées comme une « réconciliation »… mais rejetées par tous

Depuis des mois, la junte répète que ces élections constitueront une étape décisive vers le retour à la démocratie et la réconciliation nationale. Un discours qui peine à convaincre.

Les observateurs internationaux, les parlementaires légitimement élus en 2020 et évincés par la force, ainsi que la majorité des groupes armés ethniques considèrent ce scrutin comme une mascarade destinée à légitimer le pouvoir militaire. Plusieurs organisations rebelles ont d’ailleurs déjà prévenu qu’elles empêcheraient la tenue du vote dans les vastes territoires qu’elles contrôlent.

Quant à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, grande gagnante des élections de 2020 avec plus de 82 % des sièges, elle a purement et simplement été dissoute par le régime. Sa dirigeante, prix Nobel de la paix, croupit toujours en prison.

10 décembre : une « manifestation silencieuse » nationale

Coïncidant avec la journée internationale des droits de l’homme, l’opposition avait appelé l’ensemble de la population à une forme de protestation originale : vider complètement les rues, les marchés et les lieux publics pendant quelques heures. Objectif : montrer visuellement le rejet total du scrutin militaire.

Mahn Winn Khaing Thann, Premier ministre du Gouvernement d’unité nationale (NUG) en exilé et composé en grande partie d’anciens parlementaires, a expliqué dans une vidéo le sens de cette action :

« Ce mouvement vise à montrer fermement et catégoriquement que l’ensemble de la population boycotte les élections illégales et truquées organisées par l’armée. »

Mahn Winn Khaing Thann

Pourtant, dans le centre de Rangoun, l’ancien épicentre des grandes manifestations post-coup d’État, la vie a repris un cours presque normal ce jour-là. Les rues étaient animées, les magasins ouverts. Un commerçant anonyme confie, sous couvert d’anonymat : « Tous les magasins de notre marché sont ouverts aujourd’hui comme d’habitude. Les propriétaires auraient des ennuis s’ils fermaient. »

Une répression qui rend toute contestation visible extrêmement risquée

Depuis février 2021, l’armée birmane a fait du rassemblement pacifique un acte presque impossible. Le rapport le plus récent du bureau des droits de l’homme des Nations unies est formel : la répression violente et l’intimidation systématique ont rendu les manifestations publiques « de plus en plus rares et risquées ».

Les grandes marches de 2021, qui mobilisaient parfois des centaines de milliers de personnes, appartiennent désormais au passé. Aujourd’hui, la résistance prend des formes plus discrètes : flash-mobs de quelques minutes, tracts lancés à l’aube, grèves silencieuses, sabotages ciblés ou encore boycott actif.

Ces dix militants recherchés à Mandalay incarnent parfaitement cette nouvelle phase de la lutte : un acte éclair, très médiatisé sur les réseaux malgré la censure, et immédiatement suivi d’une disparition dans la clandestinité.

Vers un scrutin à géométrie très variable

Le vote doit théoriquement commencer le 28 décembre dans certaines régions, avant de s’étendre progressivement. Mais déjà, les zones tenues par les groupes ethniques armés (Arakan Army, Kachin Independence Army, Karen National Union, etc.) ont annoncé qu’aucun bureau de vote n’ouvrirait chez eux.

Dans les régions sous contrôle militaire, la participation s’annonce elle aussi très faible. La peur, le boycott actif et le désintérêt général risquent de transformer ces élections en une formalité vide de sens, où seuls les candidats acquis au régime pourront se présenter.

En résumé, la junte espérait redorer son image avec ce scrutin. Elle risque surtout d’obtenir la preuve irréfutable que, près de cinq ans après le coup d’État, elle reste profondément rejetée par la majorité de la population.

L’histoire des dix militants de Mandalay n’est qu’un épisode parmi d’autres. Mais elle illustre parfaitement jusqu’où le régime est prêt à aller pour faire taire la moindre voix discordante… et jusqu’où les Birmans sont prêts à aller pour continuer à dire non.

Quatre ans après le coup d’État, la Birmanie reste coupée en deux : d’un côté un pouvoir militaire qui organise des élections dont personne ne veut, de l’autre une société qui, malgré la terreur quotidienne, refuse toujours de baisser la tête.

Et vous, pensez-vous que ces élections changeront quoi que ce soit à la situation ? Ou ne feront-elles qu’entériner un peu plus le fossé entre le régime et le peuple ?

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