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Femmes du Rajasthan : L’Énergie Solaire Contre l’Ombre de la Silicose

Dans l’ombre des mines du Rajasthan, une maladie silencieuse tue des milliers d’hommes. Pourtant, des femmes analphabètes ont décidé de ramener la lumière… littéralement. Leur arme ? Des panneaux solaires et une détermination sans faille. Mais changeront-elles vraiment le destin de leurs villages ?

Imaginez un village où la nuit tombe dès 18 heures et où la seule lumière vacillante provient parfois d’une lampe à pétrole qui tousse plus qu’elle n’éclaire. Un village où les hommes rentrent le corps plié en deux, crachant leurs poumons dans la poussière de silice. Et puis, un jour, une femme pose un panneau solaire sur son toit. Une petite étincelle. Puis une autre. Et soudain, tout change.

Quand la lumière naît des mains des femmes

Dans le Rajasthan, région aride et minière de l’ouest indien, des milliers de familles vivent sous la menace permanente de la silicose. Cette maladie respiratoire incurable ronge les poumons des ouvriers exposés des années durant à la poussière de silice dans les carrières de grès, de marbre et de granit.

Mais depuis quelques années, un mouvement discret bouleverse la donne. Des femmes, souvent analphabètes, parfois déjà veuves ou mères de familles frappées par la maladie, apprennent à domestiquer l’énergie solaire. Elles deviennent ingénieures solaires dans leurs propres villages. Et elles ramènent la lumière là où régnait l’obscurité la plus totale.

Santosh Devi, 36 ans : de l’ombre à la lumière

Santosh Devi n’avait jamais quitté son hameau avant juin dernier. Mère de quatre enfants, elle travaillait la terre et regardait son mari dépérir. Quatre ans plus tôt, il avait dû arrêter le travail dans les carrières. Essoufflement constant, fièvre, douleurs dans tout le corps. Le diagnostic était tombé : silicose.

Avec 14,50 euros d’aide mensuelle pour handicap, la famille survivait difficilement. Santosh a dû vendre ses bijoux, emprunter de l’argent. Un jour, elle a entendu parler d’une formation étrange : trois mois loin de chez elle pour apprendre à installer des panneaux solaires. Elle a eu peur. Très peur. Puis elle a dit oui.

« Au départ, j’avais très peur. Mais cette formation m’a apporté confiance et courage. »

Santosh Devi

Aujourd’hui, elle sait fabriquer des lampes solaires, réparer des chargeurs, installer des panneaux. Elle espère gagner jusqu’à 150 euros par mois. Surtout, elle a électrifié plusieurs maisons de son village. Pour la première fois, les enfants peuvent faire leurs devoirs le soir. Les familles rechargent leurs téléphones. Un ventilateur tourne parfois quand la chaleur devient insupportable.

Barefoot College : l’université qui forme les « grands-mères solaires »

C’est à Tilonia, à deux heures de route des zones minières, que tout commence. Le Barefoot College – littéralement « l’université aux pieds nus » – existe depuis 1972. Son principe est simple et révolutionnaire : former des femmes rurales, souvent analphabètes et âgées de 35 à 60 ans, à devenir ingénieures solaires.

Pas de diplômes requis. Pas de cours théoriques interminables. On apprend en faisant. En trois à six mois, ces femmes maîtrisent l’assemblage de lampes, le câblage de panneaux, l’entretien des batteries. Depuis la création du programme, plus de 3 000 femmes issues de 96 pays ont été formées.

Le principe Barefoot en quelques points :

  • Formation pratique, sans écriture obligatoire (on utilise des codes couleurs)
  • Femmes de plus de 35 ans privilégiées, souvent considérées comme « trop vieilles » ailleurs
  • Retour obligatoire dans son village pour électrifier au moins 50 maisons
  • Salaire mensuel garanti par la communauté pour l’entretien des installations

La silicose, cette tueuse silencieuse qui vide les villages d’hommes

Dans le seul district d’Ajmer (2,5 millions d’habitants), on estime entre 5 000 et 6 000 le nombre de personnes atteintes de silicose ou de tuberculose liée à la silice. Dans certains villages, 70 familles sur 400 comptent au moins un malade.

Les hommes commencent souvent très jeunes, parfois dès 15 ans. Sans masque, sans protection. Ils taillent le grès à la main pour 5 euros par jour. Ceux qui utilisent le marteau-piqueur – qui soulève encore plus de poussière – gagnent le double. Mais le prix à payer est terrible.

Il n’existe aucun traitement curatif. Seule une prise en charge précoce peut prolonger l’espérance de vie. Une fois le diagnostic posé, l’État indien verse 2 000 euros au malade. À son décès, 3 000 euros à la famille. Des sommes dérisoires face à la perte d’un pilier économique.

Champa Devi, 30 ans : quand tout repose sur les épaules d’une mère

À quelques kilomètres de chez Santosh, Champa Devi vit une réalité encore plus dure. Son mari Vinod, 34 ans, est cloué au sol depuis six ans. Il pèse 45 kilos. Leur fils de six ans est lourdement handicapé – il ne marchera ni ne parlera jamais.

Champa a suivi la même formation. Elle a appris à écrire son nom. Elle a électrifié quatre maisons. Mais pour l’instant, elle n’en tire presque aucun revenu. Elle travaille encore sur des chantiers pour 3 euros par jour. Le traitement de son mari coûte entre 50 et 70 euros par mois.

« Les médicaments ne calment ma toux que quinze minutes… »

Vinod Ram, 34 ans

Un cercle vicieux presque impossible à briser

Beaucoup d’hommes continuent malgré les symptômes évidents. Comme Sohan Lal, 55 ans, qui tousse sévèrement et s’essouffle au moindre effort.

« Si on me diagnostiquait, ça changerait quoi ? » demande-t-il avec résignation. Il n’y a pas d’autre travail. Les mines et carrières emploient des dizaines de milliers de personnes. Quitter, c’est condamner sa famille à la misère immédiate.

Plus qu’une lumière : une renaissance sociale

L’arrivée de l’électricité solaire change tout. Les enfants étudient le soir. Les femmes se réunissent plus facilement. Les téléphones restent chargés – lien vital avec le monde extérieur. Et surtout, ces nouvelles ingénieures gagnent respect et indépendance financière.

Dans certains villages, on les appelle désormais les « grands-mères solaires ». Un surnom affectueux qui cache une réalité profonde : ces femmes, souvent considérées comme un fardeau quand elles deviennent veuves, redeviennent des piliers de la communauté.

Elles préviennent aussi l’exode rural. Quand un village s’éclaire, quand une femme gagne sa vie en réparant des panneaux, les jeunes sont plus nombreux à vouloir rester.

Un modèle qui essaime dans le monde entier

Le modèle du Barefoot College a été reproduit dans près de 100 pays. En Afrique, en Asie, en Amérique latine. Partout où des communautés rurales vivent sans électricité et où les femmes sont les plus touchées par la pauvreté.

En Inde même, des milliers de villages attendent encore leur ingénieure solaire. Car si l’État déploie des programmes d’électrification massive, les zones les plus reculées, les plus pauvres, celles précisément touchées par la silicose, restent souvent oubliées.

Au Rajasthan, ces femmes ne sauvent pas seulement leurs familles. Elles construisent, panneau après panneau, lampe après lampe, un avenir où la lumière ne sera plus un luxe. Un avenir où la mort par la poussière ne sera plus une fatalité acceptée.

Dans l’ombre des carrières, elles ont choisi de faire naître des étoiles.

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