Imaginez le président des États-Unis se lever au milieu de la nuit, saisir son téléphone et publier un message qui ressemble à un cri d’alarme national. C’est exactement ce qu’a fait Donald Trump mardi, en avertissant que la plus grande menace pesant aujourd’hui sur la sécurité des États-Unis ne vient ni de Pékin, ni de Moscou, mais… de la Cour suprême elle-même.
Un message nocturne qui fait trembler Washington
Sur Truth Social, la plateforme qu’il a créée après avoir été banni de Twitter, Donald Trump a publié un texte sans détour : une décision défavorable de la Cour suprême concernant ses droits de douane constituerait « la plus grande menace de l’histoire pour la sécurité nationale des États-Unis ». Il ajoute que le pays se retrouverait alors « financièrement sans défense ».
Pour appuyer son propos, il joint une photo d’Emmanuel Macron en visite officielle en Chine la semaine dernière. Le message est clair : pendant que l’Europe, emmenée par la France, menace Pékin de nouveaux tarifs douaniers pour réduire son déficit commercial, les États-Unis risquent d’être privés de cet outil essentiel.
« Maintenant, l’Europe va imposer des droits de douane à la Chine comme elle le fait déjà avec d’autres. Si la Cour suprême nous dit non, nous ne serions pas autorisés à faire ce que d’autres font déjà »
Donald Trump, Truth Social
Pourquoi les droits de douane sont-ils devenus une arme stratégique
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a fait des tarifs douaniers la pierre angulaire de sa politique « America First ». Ils servent à trois objectifs majeurs :
- Rééquilibrer les échanges commerciaux avec les partenaires jugés déloyaux (Chine en tête)
- Forcer le Canada et le Mexique à renforcer la lutte contre le trafic de fentanyl et l’immigration illégale
- Générer des recettes massives pour le Trésor américain tout en protégeant l’industrie nationale
Pour Trump, ces mesures ne sont pas seulement économiques. Elles sont devenues un levier de sécurité nationale. Sans elles, estime-t-il, les États-Unis perdraient leur principal moyen de pression sur les partenaires récalcitrants.
L’IEEPA de 1977 au cœur du débat juridique
Le nœud du problème repose sur la loi sur les pouvoirs économiques d’urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act, ou IEEPA), votée en 1977. Cette législation permet au président de prendre des mesures économiques exceptionnelles en cas de « menace inhabituelle et extraordinaire » pesant sur la sécurité nationale, y compris l’imposition de droits de douane.
Donald Trump a utilisé cette loi à de multiples reprises pour contourner le Congrès, qui détient constitutionnellement le pouvoir exclusif de fixer les taxes et les tarifs. C’est précisément ce point que contestent les plaignants devant la Cour suprême.
Lors de l’audience du 5 novembre dernier, le ton était particulièrement sceptique. Le président de la Cour, John Roberts, a ainsi rappelé que l’imposition de taxes a « toujours été un pouvoir fondamental du Congrès » et non de l’exécutif.
Costco et Toyota passent à l’offensive
Le front judiciaire ne se limite pas à la Cour suprême. La semaine dernière, la chaîne de supermarchés Costco a déposé une plainte devant le Tribunal du commerce international. L’entreprise réclame le remboursement des surtaxes qu’elle estime avoir payées illégalement.
Costco est aujourd’hui le plus gros groupe américain à attaquer directement l’administration Trump sur ce dossier. Mais elle n’est pas seule : des filiales de constructeurs étrangers, dont Toyota, ont engagé des procédures similaires. Toutes attendent la décision de la Cour suprême comme un signal décisif.
Une décision qui pourrait bouleverser l’équilibre des pouvoirs
Si la Cour suprême invalide le recours à l’IEEPA pour imposer des droits de douane, l’impact serait considérable :
- Des centaines de milliards de dollars de recettes douanières pourraient devoir être remboursés
- Le président perdrait un levier majeur de négociation internationale
- Le Congrès reprendrait la main totale sur la politique commerciale
- Toutes les mesures prises depuis 2018 pourraient être remises en cause rétroactivement
À l’inverse, une validation conforterait durablement le pouvoir présidentiel en matière commerciale, quel que soit le locataire de la Maison Blanche à l’avenir.
L’ironie pointée par Trump : l’Europe fait ce que l’Amérique risque de ne plus pouvoir faire
Le timing est particulièrement cinglant. Quelques jours avant le message de Trump, Emmanuel Macron, en visite en Chine, avait publiquement menacé Pékin de droits de douane européens « dans les tout prochains mois » si aucun progrès n’était fait sur le déséquilibre commercial.
Pour le président américain, l’image est insupportable : pendant que l’Union européenne se prépare à utiliser les mêmes armes que lui, les États-Unis pourraient se voir privés de cet arsenal par leur propre système judiciaire.
« Grâce aux droits de douane, facilement et rapidement appliqués, notre sécurité nationale a été grandement renforcée, et nous sommes devenus de loin le pays financièrement le plus fort au monde. Seules des forces sombres et sinistres voudraient voir cela prendre fin !!! »
Donald Trump
Vers une décision imminente
Aucune date précise n’a été annoncée, mais les observateurs s’attendent à un arrêt avant la fin de l’année ou au tout début 2026. Avec six juges conservateurs sur neuf, dont trois nommés par Trump lui-même, l’issue reste incertaine.
Ce qui est certain, c’est que cette décision marquera un tournant. Elle définira pour des décennies la frontière entre les pouvoirs du président et ceux du Congrès en matière de commerce extérieur – et, par extension, de sécurité nationale.
En attendant, le message nocturne de Donald Trump continue de résonner comme un avertissement : pour lui, priver l’Amérique de ses droits de douane, c’est la désarmer face au reste du monde.
À suivre de très près : quand la plus haute instance judiciaire d’un pays est accusée par son propre président de pouvoir devenir la principale menace pour sa sécurité, on entre dans une zone où le droit et politique s’entremêlent comme rarement.
Une chose est sûre : quelle que soit l’issue, ce dossier continuera d’alimenter les débats sur l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis pendant très longtemps.









