Imaginez partir au travail en sachant que vous risquez votre vie à chaque instant, simplement parce que vous tenez un micro ou un appareil photo. C’est la réalité de dizaines de journalistes à travers le monde. Selon le dernier bilan publié cette semaine, 67 d’entre eux ont été tués entre le 1er décembre 2024 et le 1er décembre 2025. Un chiffre qui glace le sang et qui, surtout, marque une reprise brutale de la violence contre la presse.
Un bilan en nette hausse après deux années plus clémentes
L’année précédente, le monde avait presque cru à une accalmie : seulement 49 journalistes tués en 2023, l’un des chiffres les plus bas depuis vingt ans. 2024 avait déjà renversé la tendance avec 66 victimes. 2025 confirme l’effroyable retour en force : 67 morts. Derrière ces nombres, des vies brisées, des familles endeuillées et une profession qui paie un tribut toujours plus lourd.
Ce qui frappe particulièrement, c’est la concentration géographique du drame.
Gaza, épicentre meurtrier de l’année
Près de la moitié des journalistes tués dans le monde l’ont été dans la bande de Gaza. Au moins 29 professionnels des médias y ont perdu la vie alors qu’ils couvraient le conflit. Des reporters, cameramen, photographes, fixeurs… tous porteurs d’un gilet « PRESS » clairement identifiable.
L’organisation de défense de la liberté de la presse est sans ambiguïté : ces morts ne sont pas des dommages collatéraux. Elle accuse directement l’armée israélienne d’être « le pire ennemi des journalistes » cette année. L’armée, de son côté, répète qu’elle ne cible jamais délibérément les professionnels des médias et qu’elle vise exclusivement les infrastructures du Hamas.
« Les journalistes ne meurent pas, ils sont tués. »
Cette phrase, prononcée par la directrice éditoriale de RSF, résume l’état d’esprit d’une profession qui refuse l’idée d’accidents répétés. Pour beaucoup, porter un gilet pare-balles marqué « PRESS » est devenu aussi dangereux que de ne pas en porter du tout.
Le Mexique, deuxième pays le plus dangereux
Loin du Moyen-Orient, un autre pays concentre les drames : le Mexique. Neuf journalistes assassinés en un an, ce qui en fait l’année la plus meurtrière depuis au moins trois ans. Cartels, corruption, menaces quotidiennes… malgré les promesses de la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum, la situation reste catastrophique.
Dans certaines régions, publier une enquête sur un baron local équivaut à signer son arrêt de mort. Les reporters mexicains savent qu’ils jouent leur vie à chaque article sensible.
Ukraine, Soudan et les autres zones de guerre
En Ukraine, trois journalistes ont été tués, dont le Français Antoni Lallican, mort sous les bombardements. Au Soudan, quatre reporters ont péri dans un conflit largement oublié des caméras occidentales. Syrie, Yémen, Haïti… la liste des pays où exercer le journalisme est un acte de courage est interminable.
Dans ces zones, les journalistes sont parfois pris entre plusieurs feux : armées régulières, groupes armés non étatiques, milices locales. Peu importe le camp, le résultat est le même : un carnet d’adresses qui se vide tragiquement.
L’impunité, moteur principal de la violence
Ce qui ressort de tous ces drames, c’est un sentiment d’impunité totale. Quand un journaliste est tué et que personne n’est jugé, le message envoyé est clair : on peut éliminer ceux qui dérangent sans conséquence.
RSF le martèle : « Voilà où mène la haine des journalistes, voilà où mène l’impunité. » Cette phrase résonne comme un cri d’alarme. Car tant que les responsables – qu’ils soient militaires, narco-trafiquants ou dictateurs – ne seront pas poursuivis, la spirale ne s’arrêtera pas.
Les chiffres qui font mal :
- 67 journalistes tués dans l’exercice de leur métier en un an
- 29 à Gaza (43 % du total mondial)
- 9 au Mexique
- 4 au Soudan
- 3 en Ukraine
503 journalistes derrière les barreaux dans le monde
La mort n’est pas la seule menace. À ce jour, 503 journalistes sont détenus dans 47 pays. La Chine arrive en tête avec 121 prisonniers, suivie par la Russie (48) et la Birmanie (47). Certains croupissent en cellule pour un simple tweet, une enquête trop fouillée ou une caricature.
À cela s’ajoutent 135 journalistes disparus – certains depuis plus de trente ans – et 20 otages, principalement en Syrie et au Yémen. Des familles qui attendent, parfois sans espoir, le retour d’un proche.
Et maintenant ?
Face à ce constat accablant, les appels se multiplient pour que les États se réinvestissent dans la protection des journalistes. Des mécanismes internationaux existent, mais ils restent lettre morte la plupart du temps. Des tribunaux spéciaux ? Des sanctions ciblées ? Les propositions ne manquent pas, mais la volonté politique, elle, fait défaut.
Car au fond, tuer un journaliste, c’est tuer un peu de vérité. Et dans un monde où l’information est déjà malmenée, chaque disparition laisse un vide immense.
Alors la prochaine fois que vous lirez un article sur un conflit lointain, souvenez-vous qu’il a peut-être été écrit au péril de la vie de son auteur. Et demandez-vous si nous faisons assez pour que ces femmes et ces hommes puissent simplement rentrer chez eux le soir.
Parce que sans eux, nous serions tous un peu plus aveugles.









