Imaginez la scène : des policiers en tenue anti-émeute pénètrent dans un compound portant clairement le drapeau bleu des Nations Unies, chargent des bureaux, des ordinateurs, des chaises, et, cerise sur le gâteau, remplacent l’emblème onusien par celui de l’État d’Israël. Ce n’est pas le scénario d’un thriller géopolitique, c’est ce qui s’est passé lundi à Jérusalem-Est, dans les locaux de l’UNRWA.
Une intrusion qui fait bondir l’ONU
Le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, n’a pas mâché ses mots. Depuis son compte X, il a dénoncé une entrée « par la force » dans le complexe de l’agence à Jérusalem-Est. Selon lui, les forces israéliennes, accompagnées de fonctionnaires municipaux, ont emporté meubles, matériel informatique et divers biens. Le drapeau de l’ONU a même été descendu pour laisser place à celui d’Israël.
Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, a réagi dans la foulée. Il a fermement condamné cette « entrée non autorisée » et rappelé que les locaux de l’ONU sont inviolables, quel que soit le pays hôte. Il a exigé le rétablissement immédiat de l’inviolabilité du site et demandé à Israël de s’abstenir de toute nouvelle action de ce type.
« Ce complexe reste un bâtiment des Nations unies (…) il est inviolable »
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU
Une dette municipale… qui n’existe pas, selon l’UNRWA
Du côté israélien, on justifie l’opération par une banale procédure de « recouvrement de dette ». La municipalité de Jérusalem reproche à l’UNRWA de ne pas payer la taxe municipale (arnona en hébreu). La police affirme n’avoir fait qu’assurer la sécurité de l’opération menée par les services municipaux.
Mais l’agence onusienne conteste vigoureusement l’existence même de cette dette. Son porte-parole Jonathan Fowler l’a répété clairement : l’UNRWA n’a aucune dette envers la municipalité. Roland Friedrich, directeur de l’agence en Cisjordanie (juridiction qui couvre Jérusalem-Est), va plus loin : il s’agit d’une mesure purement politique.
En effet, selon la Convention de 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies – convention qu’Israël a lui-même intégrée dans son droit interne –, les biens de l’ONU sont exemptés d’impôts locaux. Point final.
Un bâtiment déjà vide depuis janvier 2025
Petit détail qui a son importance : le siège de Jérusalem-Est n’accueille plus aucun employé de l’UNRWA depuis le 30 janvier 2025. Ce jour-là est entré en vigueur une loi israélienne interdisant totalement les activités de l’agence sur le territoire sous contrôle israélien, y compris à Jérusalem-Est annexée.
Cette loi fait suite aux accusations portées par Israël selon lesquelles plusieurs employés de l’UNRWA auraient participé à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. L’ONU a bien licencié neuf personnes en août 2024 après enquête interne, mais a précisé que les preuves fournies par Israël n’avaient pas pu être authentifiées de manière indépendante.
Le bâtiment était donc déjà désert. Pourquoi agir maintenant, neuf mois plus tard ? C’est la question que beaucoup se posent.
Jérusalem-Est, un statut toujours contesté
Il faut rappeler que Jérusalem-Est a été occupée par Israël en 1967, puis annexée en 1980 par une loi que l’ONU et la très grande majorité de la communauté internationale considèrent comme illégale. Pour le droit international, cette partie de la ville reste un territoire palestinien occupé.
En appliquant sa législation municipale à un bâtiment de l’ONU situé dans cette zone annexée, Israël franchit un nouveau palier dans l’affirmation de sa souveraineté sur l’ensemble de Jérusalem – une souveraineté que le monde refuse toujours de reconnaître.
La Jordanie monte au créneau
Le ministère jordanien des Affaires étrangères n’a pas tardé à réagir. Amman, qui reste le gardien légal des lieux saints musulmans de Jérusalem selon les accords de paix de 1994, a dénoncé une « violation flagrante du droit international » et une atteinte directe aux privilèges de l’ONU.
Le communiqué jordanien a également réaffirmé le rôle « vital et irremplaçable » de l’UNRWA auprès de millions de réfugiés palestiniens au Proche-Orient.
L’UNRWA, une agence dans le viseur depuis des années
Créée en 1949 par l’Assemblée générale des Nations Unies, l’UNRWA est la seule agence onusienne dédiée exclusivement aux réfugiés palestiniens. Elle gère écoles, centres de santé et programmes d’aide pour près de 6 millions de personnes en Jordanie, au Liban, en Syrie et dans les Territoires palestiniens.
Depuis plusieurs années, elle fait l’objet d’attaques répétées, notamment de la part d’Israël et de certains donateurs occidentaux, qui lui reprochent une prétendue complaisance envers le Hamas ou une perpétuation du statut de réfugié.
L’interdiction de ses activités en Israël et à Jérusalem-Est, puis cette saisie spectaculaire, marquent une nouvelle étape dans la volonté de certaines parties de voir disparaître l’agence – ou du moins de la réduire drastiquement.
Et maintenant ?
L’ONU a demandé le retour immédiat des biens saisis et la restauration du drapeau onusien. Reste à savoir si Israël accédera à cette requête ou si cette affaire deviendra un nouveau point de crispation durable entre l’État hébreu et l’organisation internationale.
Une chose est sûre : cette image d’un drapeau israélien flottant à la place de celui de l’ONU sur un bâtiment officiellement onusien risque de rester gravée dans les mémoires. Elle résume, mieux que mille discours, la tension extrême qui règne autour du statut de Jérusalem et du sort des réfugiés palestiniens.
À suivre, donc. Très attentivement.









