Le 21 janvier 2019, un petit avion disparaissait des radars au-dessus de la Manche. À son bord, Emiliano Sala, tout juste transféré du FC Nantes à Cardiff City, vivait ses dernières minutes. Près de sept ans plus tard, l’histoire n’est toujours pas refermé.
Un procès qui ravive la douleur
Lundi, le tribunal de commerce de Nantes a accueilli une audience aussi technique qu’émotionnelle. D’un côté, Cardiff City, qui réclame plus de 120 millions d’euros de dommages et intérêts. De l’autre, le FC Nantes, qui dénonce un acharnement et demande même un million d’euros pour préjudice moral.
Entre les deux clubs, un gouffre de versions et de ressentiments. Et au milieu, la mémoire d’un joueur de 28 ans qui n’a jamais pu porter le maillot bleu de Cardiff.
Ce que reproche exactement Cardiff au FC Nantes
Pour le club gallois, la responsabilité n’est pas seulement celle du pilote ou de l’organisateur du vol. Elle remonte jusqu’au FC Nantes via l’agent Willie McKay.
Me Olivier Loizon, avocat de Cardiff, a été clair : Willie McKay « ne pouvait pas ignorer l’illégalité du vol ». Selon lui, l’agent a fait preuve d’une légèreté coupable en organisant un trajet avec un pilote non qualifié pour ce type de vol de nuit et un appareil vieillissant.
« Quelle que soit la cause finale de l’accident, Emiliano Sala n’aurait jamais dû se trouver dans cet avion. »
Me Olivier Loizon, avocat de Cardiff City
Cardiff estime que sans cette négligence, le joueur serait toujours en vie et aurait permis au club de se maintenir en Premier League – d’où l’évaluation astronomique du préjudice.
La défense implacable du FC Nantes
Les avocats nantais, Me Jérôme Marsaudon et Me Louis-Marie Absil, ont balayé ces accusations avec vigueur.
Ils rappellent que seul David Henderson, l’organisateur britannique du vol, a été condamné pénalement au Royaume-Uni à 18 mois de prison ferme pour avoir engagé un pilote non qualifié et transporté un passager sans autorisation valide.
Surtout, ils insistent : le seul agent officiellement mandaté par le FC Nantes était Mark McKay, fils de Willie. Ce dernier n’agissait qu’en tant que père expérimenté venant aider son fils. Aucun lien contractuel direct avec le club français.
« Il est triste de voir que Cardiff a instrumentalisé ce drame et en a fait une véritable comédie judiciaire. »
Me Jérôme Marsaudon
Le terme « acharnement judiciaire » est revenu plusieurs fois dans la bouche de la défense nantaise, qui voit dans cette procédure une volonté de ternir l’image du club et de son président Waldemar Kita.
120 millions d’euros : fantasme ou réalité ?
C’est le chiffre qui a fait bondir la partie nantaise : plus de 120 millions d’euros de préjudice estimé par un expert mandaté par Cardiff.
La méthode ? Prendre en compte la relégation du club en Championship après la saison 2018-2019, les pertes de droits TV, de sponsoring, de merchandising… tout en imputant une large part de cette descente à l’absence de Sala.
L’expert financier du FC Nantes n’a pas mâché ses mots : « hypothèses absurdes », « erreurs à tous les niveaux ». Il a pointé notamment le fait que Cardiff avait déjà de gros problèmes sportifs avant même le transfert de Sala.
Éléments pris en compte par l’expert de Cardiff :
- Perte de droits TV Premier League vs Championship
- Manque à gagner sponsoring et billetterie
- Coût du remplacement du joueur
- Impact psychologique sur l’équipe
→ Total estimé : > 120 M€
Des chiffres qualifiés de « fantasmagoriques » par Me Absil.
Le long chemin judiciaire déjà parcouru
Ce procès au tribunal de commerce n’est qu’un épisode d’une saga judiciaire tentaculaire.
Déjà en 2022, le Tribunal arbitral du sport (TAS) avait tranché : le transfert était bien valide au moment du décès. Cardiff devait donc payer les 17 millions d’euros convenus.
En 2023, la chambre de résolution des litiges de la FIFA a condamné Cardiff à verser le solde restant (environ 11 millions d’euros à l’époque) au FC Nantes. Une somme que le club gallois a fini par régler, non sans grincer des dents.
Aujourd’hui, Cardiff retourne l’argument : oui, le transfert était valide, donc Nantes avait une responsabilité dans la sécurité du voyage du joueur.
Une date à retenir : le 30 mars
Le tribunal de commerce de Nantes rendra sa décision le 30 mars 2026. Une éternité pour les familles, les supporters, et les deux clubs.
Quelle que soit l’issue, ce verdict ne ramènera pas Emiliano Sala. Il risque surtout d’ouvrir un nouveau chapitre de contentieux, avec probable appel de la partie perdante.
En attendant, le football continue de porter le de ce jeune Argentin talentueux fauché en plein rêve. Un maillot floqué Sala est toujours accroché dans les travées de la Beaujoire. À Cardiff, les supporters chantent encore son nom à chaque match.
Le 30 mars 2026, un tribunal français pourrait écrire la dernière page – ou ouvrir un nouveau tome – de l’une des affaires les plus douloureuses de l’histoire récente du football.
Une chose est sûre : sept ans après, personne n’a oublié Emiliano Sala.









