Imaginez l’angoisse d’un parent qui dépose son enfant à l’école un matin ordinaire… et qui apprend quelques heures plus tard que des hommes armés ont emporté toute une classe. C’est la réalité que vivent des centaines de familles nigérianes depuis plusieurs années. Le 21 novembre dernier, cette peur a pris la forme d’un cauchemar bien concret dans un petit village du centre-nord du pays.
Un enlèvement massif qui rappelle les heures les plus sombres
Dans la nuit du 20 au 21 novembre, des individus lourdement armés ont pris d’assaut l’internat mixte catholique St. Mary, situé à Papiri, un village reculé de l’État du Niger. En quelques minutes, ils ont emmené 303 élèves et 12 membres du personnel. Seule une cinquantaine d’enfants, plus rapides ou mieux cachés, ont réussi à s’échapper dans la panique générale.
L’attaque, d’une ampleur effrayante, a immédiatement rappelé le traumatisme national de Chibok en 2014, lorsque Boko Haram avait kidnappé 276 lycéennes. Dix ans plus tard, le mode opératoire a changé : les auteurs ne revendiquent plus d’idéologie jihadiste, mais agissent pour l’argent. On les appelle simplement les « bandits ».
La joie contenue de la libération partielle
Ce lundi, un convoi impressionnant a franché les portes du siège du gouvernement local de Minna, la capitale de l’État. Cinq bus blancs, escortés par une dizaine de véhicules militaires et blindés, transportaient les 100 premiers enfants libérés. Âgés de 10 à 17 ans pour la plupart, ils sont apparus épuisés mais vivants.
Le gouverneur Mohammed Umaru Bago les a accueillis personnellement. Devant les caméras, il a tenu à remercier le président de la République « qui nous a donné les moyens nécessaires de secourir ces enfants ». Il a ajouté, avec une assurance mesurée, que les autres élèves encore détenus devraient être libérés « très bientôt ».
« Nous remercions Monsieur le président qui nous a donné les moyens nécessaires de secourir ces enfants »
Mohammed Umaru Bago, gouverneur de l’État du Niger
Pourtant, aucune précision n’a été donnée sur les circonstances exactes de cette libération : rançon payée ? Opération militaire ? Négociations secrètes ? Le silence officiel alimente toutes les spéculations.
165 enfants toujours entre les mains des ravisseurs
Si la joie des retrouvailles est immense pour une centaine de familles, elle reste teintée d’une terrible amertume pour les autres. 165 élèves et plusieurs adultes manquent encore à l’appel. Chaque jour qui passe augmente l’angoisse : dans quel état sont-ils ? Ont-ils à manger ? Sont-ils maltraités ?
Les autorités assurent travailler « nuit et jour » pour obtenir leur libération. Mais dans un pays où les enlèvements se multiplient, les promesses peinent parfois à se concrétiser rapidement.
Des « bandits » qui ont fait du kidnapping une industrie
Dans le nord-ouest et le centre-nord du Nigeria, les groupes criminels armés, surnommés « bandits », règnent sur de vastes zones rurales. Initialement des éleveurs peuls en conflit avec les agriculteurs, beaucoup se sont reconvertis dans le banditisme pur et dur.
Leur activité principale ? L’enlèvement contre rançon. Selon le cabinet SBM Intelligence, ce business illicite aurait généré environ 1,66 million de dollars rien qu’entre juillet 2024 et juin 2025. Une somme probablement sous-estimée tant les familles payent souvent en secret pour éviter les représailles.
Le mois de novembre 2025 a été particulièrement meurtrier : plus de 400 personnes – écoliers, fidèles religieux, agriculteurs, une mariée et ses demoiselles d’honneur… – ont été enlevées en seulement quinze jours. Un chiffre qui donne le vertige.
Pourquoi les écoles sont-elles devenues des cibles privilégiées ?
Les établissements scolaires, surtout ceux situés en zone rurale, offrent plusieurs avantages aux ravisseurs :
- Des centaines d’otages potentiels regroupés au même endroit
- Une sécurité souvent minimale (un ou deux gardiens mal armés)
- Des familles prêtes à tout pour récupérer leurs enfants
- Une forte couverture médiatique qui met la pression sur les autorités
Le résultat est tragique : des milliers d’écoles ont fermé ces dernières années dans le nord du pays. Des générations entières grandissent dans la peur ou sans éducation.
Que font vraiment les autorités face à cette crise ?
Officiellement, l’armée et la police multiplient les opérations. Des unités spéciales ont été créées, des récompenses promises pour toute information. Pourtant, sur le terrain, les résultats restent mitigés.
Beaucoup d’observateurs pointent du doigt la corruption, le manque de coordination entre les différents corps de sécurité, et parfois même la collusion entre certains éléments des forces de l’ordre et les bandits.
Le paiement de rançons, même s’il est officiellement interdit, reste une pratique courante. Certaines sources estiment que des millions de dollars ont déjà été versés ces dernières années, alimentant directement le cercle vicieux.
L’espoir fragile des familles
À Minna, les 100 enfants libérés vont maintenant passer par une série d’examens médicaux et psychologiques. Beaucoup portent encore les marques de leur captivité : maigreur, regards hagards, cauchemars.
Pour les parents des 165 autres, l’attente continue. Chaque appel téléphonique fait bondir le cœur. Chaque nouvelle du jour est scrutée avec angoisse. Ils n’ont qu’un seul souhait : revoir leurs enfants avant Noël.
Dans ce Nigeria meurtri mais résilient, l’histoire de St. Mary n’est malheureusement qu’un épisode parmi tant d’autres. Elle rappelle à quel point la sécurité des enfants reste une priorité absolue, et à quel point le chemin est encore long pour que plus jamais une classe entière ne disparaisse en pleine nuit.
On ne peut qu’espérer que les promesses du gouverneur se réaliseront rapidement. Que les 165 enfants restants fouleront bientôt, eux aussi, le sol de Minna, sains et saufs. Et que, un jour peut-être, les écoles nigérianes redeviendront simplement des lieux d’apprentissage… et non des cibles.









