Imaginez arriver en Crète pour vos vacances tant attendues et découvrir que l’avion ne peut ni atterrir ni décoller. Lundi après-midi, c’est exactement ce qui est arrivé à des milliers de touristes : les deux aéroports internationaux de l’île, Héraklion et La Canée, ont été totalement paralysés par des agriculteurs et des éleveurs en colère.
Une journée noire pour le tourisme crétois
Vers 14 heures, plusieurs dizaines d’agriculteurs ont franchi la clôture de l’aéroport d’Héraklion et se sont installés sur le tarmac. Aucun vol n’a pu opérer depuis ce moment-là. À La Canée, dans l’ouest de l’île, l’accès au terminal a été purement et simplement bloqué jusqu’au lendemain matin.
Pour les voyageurs, c’est la stupeur. Bagages à la main, certains attendent depuis des heures sous un soleil de plomb, sans savoir quand ils pourront enfin rejoindre leur hôtel ou rentrer chez eux. La haute saison touristique bat son plein, et la Crète accueille chaque été des millions de visiteurs.
Des affrontements violents avant l’occupation
Avant d’atteindre l’aéroport de La Canée, les manifestants se sont heurtés aux forces anti-émeutes. Armés de pierres et de bâtons, certains ont endommagé des véhicules de police. Les forces de l’ordre ont répondu par des gaz lacrymogènes, mais ont fini par reculer face à la détermination des agriculteurs.
Un véhicule de police a même été renversé sous les yeux des caméras. Ces images, largement diffusées, montrent l’ampleur de la colère qui couve depuis des mois dans les campagnes crétoises.
Au cœur du problème : une fraude massive aux subventions européennes
Le mouvement ne date pas d’hier. Depuis la fin novembre, les agriculteurs grecs multiplient les actions : barrages de routes avec tracteurs, blocages d’autoroutes… Mais c’est en Crète que la situation a dégénéré ce lundi.
La goutte d’eau ? Les retards considérables dans le versement des aides de la Politique Agricole Commune (PAC). Ces retards font suite à la découverte, au printemps dernier, d’un vaste système de détournement de fonds européens.
Plus de 30 millions d’euros auraient été détournés par des individus qui réclamaient des aides pour des terres qu’ils ne possédaient pas ou en exagérant la taille de leurs troupeaux.
Des terres fictives, des troupeaux gonflés sur le papier… Le scandale a éclaté et n’a cessé de prendre de l’ampleur. En octobre, 37 personnes ont été arrêtées. Treize d’entre elles, dont le présumé cerveau du réseau, sont aujourd’hui en détention provisoire.
L’OPEKEPE dans la tourmente
Au centre de l’affaire : l’organisme grec chargé de contrôler et de verser les aides européennes aux agriculteurs, l’OPEKEPE. Des années de dysfonctionnements, de corruption et de clientélisme ont permis à des réseaux de détourner des millions d’euros destinés aux véritables exploitants.
Face à l’ampleur du scandale, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a annoncé la dissolution pure et simple de l’OPEKEPE. Le processus doit être achevé à la mi-2026. Un ministre de l’Agriculture a déjà démissionné sous la pression.
La procureure européenne Laura Kövesi, en visite à Athènes, n’a pas mâché ses mots : elle a promis de « nettoyer les écuries d’Augias » et dénoncé ouvertement la corruption qui gangrénait l’organisme.
Les éleveurs doublement touchés par la variole ovine
À cette fraude s’ajoute un autre drame pour les éleveurs crétois : l’épidémie de variole ovine qui a frappé la Grèce. Plus de 400 000 moutons et chèvres ont dû être abattus pour endiguer la maladie.
Les compensations promises peinent à arriver. Entre les aides européennes gelées à cause de la fraude et les indemnisations qui tardent, de nombreuses exploitations se retrouvent au bord du gouffre financier.
La réaction du gouvernement
Kyriakos Mitsotakis, lui-même originaire de Crète, s’est dit ouvert au dialogue avec les représentants des agriculteurs. Mais il a aussi mis en garde contre les actions « aveugles » qui pourraient retourner l’opinion publique contre le mouvement.
« Parfois les mobilisations les plus extrêmes peuvent retourner de larges catégories de la société contre les agriculteurs, même si ces derniers peuvent avoir des revendications légitimes »
Kyriakos Mitsotakis, Premier ministre grec
Le chef du gouvernement a promis de faire toute la lumière sur le scandale, « quel qu’en soit le coût politique ». Reste à savoir si ces paroles suffiront à calmer la colère des campagnes.
Un mouvement qui s’étend à toute la Grèce
La Crète n’est que la pointe visible de l’iceberg. Dans le centre et le nord du pays, des milliers d’agriculteurs bloquent depuis plusieurs jours les grands axes routiers avec leurs tracteurs.
Les revendications sont claires : versement immédiat des aides européennes, compensations rapides pour la variole ovine, et surtout une réforme profonde du système de distribution des subventions.
Les principales revendications des agriculteurs grecs :
- Déblocage sans délai des subventions PAC
- Indemnisations intégrales suite à l’abattage sanitaire
- Transparence totale dans la nouvelle structure qui remplacera l’OPEKEPE
- Mesures d’urgence face à la hausse des coûts de production
Ce lundi marque un tournant. En s’attaquant directement aux aéroports, les agriculteurs crétois ont choisi de frapper là où ça fait mal : le tourisme, principale ressource économique de l’île.
Entre la colère légitime des exploitants agricoles et l’exaspération des touristes bloqués, la situation est explosive. La Crète, habituellement synonyme de cartes postales idylliques, se retrouve aujourd’hui au cœur d’une crise sociale majeure qui révèle les failles profondes du système agricole grec.
Combien de temps cette paralysie va-t-elle durer ? Les autorités parviendront-elles à rétablir le dialogue avant que la situation ne dégénère davantage ? Une chose est sûre : ce n’est probablement que le début d’un hiver très agité dans les campagnes helléniques.









