Et si la clé pour mettre fin à la guerre en Ukraine se trouvait à Pékin plutôt qu’à Moscou ou à Washington ? C’est, en substance, le message qu’a porté lundi le ministre allemand des Affaires étrangères lors de sa visite officielle en Chine. Un déplacement lourd de sens, au moment où l’Europe cherche désespérément de nouveaux leviers pour faire plier la Russie.
Un appel direct à la responsabilité chinoise
À l’issue de sa rencontre avec son homologue chinois Wang Yi, Johann Wadephul n’a pas mâché ses mots. « S’il existe un pays dans le monde qui exerce une forte influence sur la Russie, c’est bien la Chine », a-t-il déclaré devant la presse. Le ton est posé, mais l’intention est claire : l’Europe attend de Pékin qu’il passe de la neutralité affichée à une pression réelle sur Moscou.
Ce n’est pas la première fois que des responsables européens formulent cette demande. Mais rarement avec une telle franchise, et rarement depuis la capitale chinoise elle-même. Le choix du lieu n’est pas anodin : il s’agit de faire entendre le message là où il peut être le plus utile.
« Dans un monde interconnecté, la sécurité de l’Asie et de l’Europe sont inextricablement liées »
Johann Wadephul, ministre allemand des Affaires étrangères920>
Cette phrase résume à elle seule la nouvelle approche européenne : présenter la fin du conflit ukrainien non comme une faveur faite à l’Occident, mais comme un intérêt commun avec la Chine. Un argument géopolitique qui tente de contourner la rhétorique officielle de Pékin sur sa « neutralité ».
La Chine, entre neutralité de façade et partenariat stratégique
Depuis le début de l’invasion russe, la Chine répète qu’elle reste neutre. Elle n’a jamais condamné l’agression et continue de présenter le conflit comme une affaire entre la Russie et l’OTAN. Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes : Pékin est devenu le premier partenaire commercial de Moscou, achetant massivement son pétrole et ses matières premières.
Ce positionnement ambigu agace profondément en Europe. D’un côté, la Chine appelle à la paix et propose des plans en douze points. De l’autre, elle refuse toute mesure concrète qui pourrait gêner la Russie. Johann Wadephul a donc choisi de pointer directement cette contradiction.
Le message allemand semble avoir été entendu, du moins en surface. Le ministre s’est dit convaincu que ses « attentes » avaient été comprises lors des discussions. Reste à savoir si cela débouchera sur des actes.
Terres rares : le levier chinois sur l’économie allemande
Mais la diplomatie, c’est aussi donner et recevoir. Et sur ce terrain, la Chine dispose d’une carte maîtresse : les terres rares. Ces métaux indispensables à l’industrie automobile, aux éoliennes ou aux smartphones sont très majoritairement produits en Chine.
Ces dernières années, Pékin n’a pas hésité à utiliser cet avantage comme arme géopolitique. Johann Wadephul a donc salué un geste important : la volonté chinoise d’accorder des licences générales aux entreprises européennes pour accéder à ces ressources.
« Je considère cela comme un engagement positif », a-t-il commenté, tout en encourageant les industriels allemands à déposer rapidement leurs demandes. Derrière la satisfaction de façade, on devine le soulagement : l’industrie allemande, Volkswagen et BMW en tête, respire un peu mieux.
À retenir : La Chine contrôle plus de 80 % de la production mondiale de terres rares. Un arrêt des exportations, même temporaire, pourrait paralyser des pans entiers de l’industrie européenne.
Le retour triomphal de la Chine comme premier partenaire commercial
Autre signe qui ne trompe pas : en 2024, la Chine a repris sa place de premier partenaire commercial de l’Allemagne, devant les États-Unis. Un renversement symbolique après plusieurs années où Washington avait pris la tête.
Ce retour au sommet illustre la profondeur de l’interdépendance économique. L’Allemagne exporte vers la Chine des machines-outils, des voitures de luxe et des produits chimiques. En retour, elle importe des composants électroniques, des vêtements et, donc, des terres rares.
Cette relation n’est pas sans nuages. Le déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine reste abyssal. Dimanche, Emmanuel Macron a menacé d’imposer de nouveaux droits de douane si Pékin ne prenait pas des mesures correctrices.
Droits de douane : Berlin marque sa différence avec Paris
Interrogé sur ces menaces françaises, Johann Wadephul s’est montré très prudent. « L’Allemagne ne mène en principe pas de politique protectionniste », a-t-il rappelé. Une phrase qui résume la philosophie économique allemande : ouverture maximale, même quand elle fait mal.
Le ministre s’est toutefois voulu optimiste. Selon lui, le message européen sur la nécessité de rééquilibrer les échanges a été compris à Pékin. Des discussions sont en cours. Reste à savoir si elles aboutiront avant que la patience européenne ne s’épuise définitivement.
Cette divergence d’approche entre Paris et Berlin n’est pas nouvelle. La France privilégie souvent la fermeté et les gestes symboliques. L’Allemagne mise sur le dialogue et la patience stratégique. Deux visions qui coexistent difficilement au sein de l’Union européenne.
Un voyage reporté, mais stratégique
Initialement prévu en octobre, ce déplacement avait été reporté. Officiellement, à cause d’un agenda chinois trop chargé. En réalité, beaucoup y avaient vu un signe de refroidissement des relations.
Le fait que la visite ait finalement lieu, et avec un agenda dense, montre que les deux parties ont intérêt à maintenir le dialogue. Le lendemain, Johann Wadephul devait se rendre à Guangzhou, accompagné de représentants du monde économique et de la société civile.
Objectif : visiter des entreprises et renforcer les liens au-delà des seuls cercles gouvernementaux. Un signal clair : malgré les tensions géopolitiques, l’Allemagne ne tourne pas le dos à la deuxième économie mondiale.
Ce que cette visite nous dit du monde en 2025
Cette séquence diplomatique résume à elle seule les dilemmes de l’Europe face à la Chine. D’un côté, une puissance incontournable avec laquelle il faut composer. De l’autre, un acteur qui refuse de s’aligner sur les positions occidentales dans le conflit ukrainien.
L’Allemagne, plus que tout autre pays européen, incarne cette ambivalence. Première économie de l’Union, elle est aussi la plus exposée à la Chine. Ses dirigeants doivent jongler en permanence entre principes et intérêts économiques.
En pressant Pékin sur l’Ukraine tout en saluant ses gestes sur les terres rares, Johann Wadephul a parfaitement illustré cette realpolitik. Une approche qui agace parfois les partenaires européens plus offensifs, mais qui reflète une réalité brute : sans la Chine, ni la transition énergétique ni la compétitivité industrielle allemande ne sont possibles à court terme.
La question reste entière : Pékin acceptera-t-il un jour de sacrifier une partie de son partenariat « sans limites » avec Moscou pour préserver ses relations avec l’Europe ? Pour l’instant, la réponse reste suspendue entre les salons dorés de Pékin et les usines de Guangzhou.
Une chose est sûre : tant que la guerre en Ukraine durera, ce type de visite se multipliera. Et chaque fois, la même question reviendra : la Chine est-elle prête à devenir le faiseur de paix que l’Europe appelle de ses vœux, ou restera-t-elle fidèle à sa ligne de neutralité intéressée ? L’histoire, comme toujours, nous le dira.









