Imaginez arriver aux urgences avec une blessure par balle et découvrir qu’il n’y a plus ni anesthésie, ni antibiotiques, ni même assez de pansements. C’est le quotidien des équipes médicales à Gaza, deux mois après une trêve censée tout changer.
La trêve n’a pas ramené la paix dans les hôpitaux
Javid Abdelmoneim ne mâche pas ses mots. Le président de Médecins Sans Frontières, qui a passé une grande partie de 2024 sur le terrain à Gaza, affirme que les conditions restent « toujours aussi difficiles » malgré le cessez-le-feu conclu en octobre sous l’égide des États-Unis.
Les opérations continuent, les accouchements aussi, les plaies sont suturées. Mais tout se fait dans des conditions indignes des standards médicaux les plus élémentaires. Les violences sporadiques n’ont pas cessé : les deux parties s’accusent mutuellement de violer la trêve, et ce sont les civils qui paient le prix.
« Nous voyons arriver des blessés dans les services d’urgence où nous travaillons sur l’ensemble du territoire »
Javid Abdelmoneim, président de MSF
Une aide humanitaire toujours instrumentalisée
L’accord prévoyait un afflux massif d’aide. La réalité est toute autre. Les camions entrent au compte-gouttes, et le point de passage de Rafah reste quasi fermé malgré les appels répétés de l’ONU.
Pour le président de MSF, cette situation n’a rien d’un simple retard logistique. Il parle d’une aide « instrumentalisée » et va plus loin :
« Cela reste un élément de ce génocide en cours. C’est utilisé comme monnaie d’échange, et ça ne devrait jamais concerner l’aide humanitaire. »
Le terme est fort. Israël le rejette systématiquement, le qualifiant d’antisémite ou de mensonger. Pourtant, sur le terrain, les faits s’accumulent : hôpitaux détruits ou hors service, pénurie chronique de médicaments, taux d’infection qui explosent.
Des hôpitaux de campagne qui ne compensent rien
On a vu fleurir quelques structures temporaires ces derniers mois. Mais pour MSF, elles sont très loin de remplacer un vrai système de santé.
Le manque de fournitures et la destruction massive des infrastructures hospitalières créent un cercle vicieux : durées d’hospitalisation rallongées, complications en cascade, mortalité évitable en hausse.
Conséquences directes observées par les équipes MSF :
- Explosion des infections nosocomiales
- Amputations réalisées sans anesthésie suffisante
- Mortalité maternelle et néonatale en forte hausse
- Impossibilité de traiter correctement les grands brûlés
Le Soudan, l’autre catastrophe oubliée
Pendant que le monde a les yeux rivés sur Gaza, une autre guerre fait rage au Soudan. Fin octobre, les Forces de soutien rapide (FSR) ont pris El-Facher après dix-huit mois de siège. Les récits qui en découlent sont terrifiants.
Atrocités généralisées, violences sexuelles à caractère ethnique, exécutions sommaires : les témoignages recueillis par les équipes MSF au Soudan et au Tchad voisin sont glaçants.
Mais un élément reste constant, quel que soit le camp qui contrôle le territoire :
« Ce sont les attaques contre les structures de santé et les blocages entravant les mouvements de fournitures et la prestation de soins. »
Hôpitaux bombardés, personnel menacé
L’Organisation mondiale de la santé a dénoncé le massacre de plus de 460 personnes dans une maternité d’El-Facher. Le 4 décembre, 114 personnes, dont 63 enfants, ont péri dans des frappes de drones sur un hôpital et une école maternelle à Kalogi.
Ces attaques ne sont pas des « dommages collatéraux ». Elles sont systématiques et touchent les derniers refuges des civils.
Des disparus par milliers et une famine qui guette
À Tawila, plus de 650 000 déplacés s’entassent après avoir fui El-Facher et le camp de Zamzam. Les survivants racontent que des membres de leur famille ont été arrêtés et n’ont jamais réapparu.
Les équipes médicales entendent aussi des récits répétés d’extorsion, de violences sexuelles, et constatent des signes évidents de malnutrition sévère.
Le spectre de la famine plane à nouveau sur le Darfour, vingt ans après le génocide qui avait déjà marqué la région.
Un appel à l’action que personne n’écoute
Javid Abdelmoneim est clair : les deux camps, au Soudan comme à Gaza, doivent garantir la libre circulation des humanitaires et la protection du personnel médical.
Il rejoint l’ONU pour exiger une enquête indépendante sur les disparitions et les exactions au Darfour. Mais pour l’instant, ces appels restent lettres mortes.
Dans les deux territoires, le même constat amer : la médecine est devenue un acte de résistance. Et chaque jour sans réaction internationale rend la survie plus précaire pour des millions de personnes.
Quand le stéthoscope devient une cible
Quand soigner est perçu comme un acte politique
Quand l’aide humanitaire sert de levier de guerre
…alors l’humanité entière est en danger.
Les mots du président de MSF ne sont pas une simple alerte. Ils sont un cri. Restera-t-il encore une fois sans réponse ?









