Imaginez une substance qui, en l’espace de treize ans, triple sa consommation et devient le marché le plus rentable de toutes les drogues illicites en France. Ce n’est pas une fiction : c’est la réalité de la cocaïne en 2023.
La cocaïne, nouveau roi du marché français des drogues
Une étude récente, menée par deux économistes spécialisés dans les addictions, vient de bouleverser ce que l’on croyait savoir sur le trafic de stupéfiants dans l’Hexagone. Pour la première fois, la cocaïne dépasse le cannabis en termes de chiffre d’affaires. Le montant est vertigineux : 3,1 milliards d’euros en moyenne pour la seule année 2023.
À titre de comparaison, le cannabis, pourtant consommé en bien plus grande quantité, génère « seulement » 2,7 milliards d’euros. Ensemble, ces deux substances représentent près de 90 % de l’ensemble du marché illicite français, estimé à 6,8 milliards d’euros (fourchette de 3,8 à 9,7 milliards).
Une croissance fulgurante depuis 2010
En 2010, le marché global des drogues illicites pesait environ 2,3 milliards d’euros. Treize ans plus tard, il a presque triplé. La palme de la progression revient sans conteste à la cocaïne : son chiffre d’affaires est passé de 902 millions à 3,1 milliards d’euros, soit une multiplication par 3,4.
En volume, l’évolution est tout aussi impressionnante. Les auteurs estiment que la France a consommé 47,1 tonnes de cocaïne en 2023, contre 15 tonnes en 2010. Le cannabis reste largement devant avec près de 400 tonnes, mais la valeur au kilo de cocaïne fait toute la différence.
« Le cannabis et la cocaïne génèrent à eux seuls environ 90 % du total du chiffre d’affaires des drogues illicites en 2023 »
Christian Ben Lakhdar et Sophie Massin
Pourquoi la cocaïne est-elle devenue si rentable ?
La réponse tient en trois mots : prix-pureté-ratio. Au fil des années, la cocaïne vendue en France est devenue à la fois plus pure et moins chère. Le gramme de rue, qui coûtait cher il y a quinze ans, s’est démocratisé.
Cette accessibilité a élargi la clientèle bien au-delà des milieux festifs ou aisés. Désormais, la consommation touche toutes les catégories sociales et toutes les régions. Les auteurs parlent d’une « forte explosion de la consommation des psychostimulants » observée depuis vingt ans.
Le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) le confirme : le nombre de personnes ayant expérimenté la cocaïne a été multiplié par quatre en deux décennies.
L’explosion des autres stimulants : ecstasy et amphétamines
La cocaïne n’est pas seule. Le marché de l’ecstasy et du MDMA enregistre la plus forte croissance en pourcentage : +637 % entre 2010 et 2023. Les quantités consommées sont passées de 11,3 millions à 65,6 millions de comprimés en treize ans.
Les amphétamines suivent la même tendance. Ces substances, longtemps considérées comme marginales en France, deviennent des acteurs majeurs du marché noir.
Résumé chiffré 2023 (estimation moyenne)
- Chiffre d’affaires total drogues illicites : 6,8 milliards €
- Cocaïne : 3,1 milliards € (47,1 tonnes)
- Cannabis : 2,7 milliards € (397,4 tonnes)
- Ecstasy/MDMA : 65,6 millions de comprimés
- Croissance marché global depuis 2010 : x3
Un défi majeur pour les pouvoirs publics
Cette progression met à rude épreuve l’ensemble de la chaîne répressive et sanitaire : police, douanes, justice, urgences hospitalières, services d’addictologie. Les saisies records de cocaïne dans les ports (Anvers, Le Havre, Dunkerque) ne suffisent plus à endiguer le flux.
Le président de la Mildeca parle d’une « spectaculaire progression » qui « met à l’épreuve les forces de sécurité, la Justice, les professionnels de santé et tous nos territoires ». Il appelle à renforcer l’action publique à la fois sur l’offre (répression) et sur la demande (prévention, éducation).
Vers une banalisation progressive ?
Le plus inquiétant reste peut-être la normalisation progressive de ces consommations. Une drogue autrefois associée à une élite ou à la fête underground s’est installée dans le quotidien de millions de Français, souvent sous forme de consommation occasionnelle (« week-end »).
Cette évolution interroge notre modèle de prévention, longtemps centré sur le cannabis et l’alcool. Les campagnes d’information, les consultations jeunes consommateurs, les dispositifs de réduction des risques devront s’adapter à cette nouvelle réalité.
Car derrière les milliards d’euros se cachent des vies brisées, des familles endeuillées et une pression croissante sur le système de santé. La France fait face à un défi sociétal d’ampleur, dont les contours se dessinent seulement aujourd’hui.
La cocaïne n’est plus une drogue des stars ou des nuits parisiennes. Elle est devenue, en 2023, le premier marché illicite du pays. Et rien n’indique que la courbe va s’inverser demain.









