Imaginez que vous dirigiez une grosse plateforme d’échange crypto ou une solution de layer 2. Chaque pic soudain de trafic sur Ethereum fait exploser vos coûts opérationnels et oblige vos utilisateurs à payer des frais exorbitants. Frustrant, imprévisible, parfois même dangereux pour la trésorerie. Et si on pouvait simplement verrouiller le prix du gas plusieurs mois à l’avance, comme on le fait pour le pétrole ou l’électricité ? C’est exactement l’idée folle – et pourtant terriblement logique – que Vitalik Buterin vient de lancer.
Les Gas Futures : la proposition qui veut domestiquer la volatilité Ethereum
Le cofondateur d’Ethereum ne s’est pas contenté d’un tweet ou d’un vague concept. Il a détaillé un mécanisme complet : un marché de futures sur le gas directement intégré à la blockchain. L’objectif ? Transformer un coût variable et anxiogène en une dépense prévisible, presque comme un abonnement.
Concrètement, n’importe qui pourrait acheter dès aujourd’hui une certaine quantité de gas à un prix fixe pour une utilisation future (dans une semaine, un mois ou un an). Le prix de ces contrats reflèterait les anticipations du marché sur la congestion future du réseau. Plus la demande prévue est forte, plus le futur coûte cher. Et vice versa.
Comment fonctionnent ces contrats à terme sur le gas ?
Le système repose sur une extension intelligente d’EIP-1559, cette fameuse mise à jour qui a introduit le base fee brûlé à chaque bloc. Au lieu de remplacer quoi que ce soit, les gas futures viennent se greffer dessus.
Lorsque vous achetez un contrat, vous obtenez un token représentant X unités de gas à un prix Y, utilisable à n’importe quel moment dans la fenêtre choisie. Au moment de la transaction, le protocole prélève automatiquement le gas nécessaire dans votre contrat au prix convenu, quelle que soit la congestion réelle du réseau à cet instant.
C’est un peu comme si vous preniez une option d’achat sur l’essence à 1,80 € le litre valable pendant six mois. Même si le prix à la pompe explose à 3 €, vous faites le plein à 1,80 €.
« L’objectif n’est pas de baisser les frais, mais de les rendre prévisibles. Passer d’un modèle de coût variable à un modèle de coût fixe et anticipé. »
Vitalik Buterin (résumé de la proposition)
Pourquoi c’est une révolution pour les gros acteurs
Pour un exchange centralisé ou décentralisé, la prévisibilité des frais change tout. Aujourd’hui, un pic de 300 gwei peut transformer une journée profitable en journée rouge en quelques minutes. Avec les gas futures, l’équipe finance peut budgéter précisément le coût des retraits Ethereum sur l’année entière.
Les rollups (Arbitrum, Optimism, zkSync…) sont également concernés. Ces solutions layer 2 doivent poster régulièrement des données sur la chaîne principale. Quand le gas dépasse les 500 gwei, leurs coûts opérationnels deviennent insoutenables. Un contrat future leur permet de lisser ces dépenses et de proposer des frais stables à leurs utilisateurs finaux.
Les entreprises traditionnelles qui envisagent d’utiliser Ethereum pour des paiements, des systèmes de vérification ou du stockage de données hésitent souvent à cause de cette imprévisibilité. Un marché de futures enlève cet obstacle majeur.
Un nouveau signal économique pour tout l’écosystème
Au-delà de la simple stabilité pour les utilisateurs, ce marché créerait une donnée précieuse : le prix forward du blockspace. En clair, on verrait en temps réel ce que le marché anticipe comme niveau de demande dans 1 mois, 3 mois ou 12 mois.
Ces signaux pourraient guider :
- Les décisions de gouvernance sur les futures mises à jour (Dencun, Prague, etc.)
- Le rythme de développement des solutions layer 2
- Les stratégies d’investissement dans les infrastructures de nœuds et de séquenceurs
- Les politiques de brûlage et d’émission d’ETH
Imaginez un tableau de bord où l’on voit le prix du gas à 6 mois s’envoler : tout le monde comprendrait immédiatement que la demande va exploser et qu’il faut accélérer le scaling. À l’inverse, une chute des prix forward indiquerait une possible période creuse.
Les défis techniques et les questions ouvertes
Tout n’est pas encore réglé, loin de là. Plusieurs points restent à trancher :
- Comment gérer les contrats expirés non utilisés ? Remboursement ? Brûlage ?
- Quel mécanisme de liquidation en cas de sous-approvisionnement extrême du réseau ?
- Comment éviter la spéculation excessive et les manipulations de marché ?
- Faut-il des contrats standardisés ou laisser une totale liberté de maturité et de volume ?
Vitalik semble pencher pour une implémentation minimaliste au départ : des contrats très simples, sans effet de levier, avec des maturités fixes (1 mois, 3 mois, 6 mois, 12 mois). L’idée est de tester le concept avant d’ouvrir la boîte de Pandore des produits dérivés complexes.
Un précédent historique qui donne envie d’y croire
On a déjà vu des idées apparemment farfelues devenir des piliers d’Ethereum. Qui aurait cru, il y a cinq ans, que brûler des ETH à chaque transaction deviendrait la norme avec EIP-1559 ? Pourtant aujourd’hui c’est la mécanique deflationniste principale du réseau.
Les gas futures pourraient connaître le même destin : passer du statut de « proposition intéressante » à celui de composant fondamental de l’économie Ethereum dans les deux ou trois prochaines années.
Et pour l’utilisateur lambda ?
Vous et moi, simples mortels qui transférons quelques ETH ou faisons du swapping sur Uniswap, on ne verra probablement pas la différence directement. Nos wallets continueront à nous proposer le gas du moment.
Mais indirectement, on bénéficiera d’un réseau plus stable, avec moins de pics extrêmes (car les gros acteurs auront déjà couvert leurs besoins) et surtout d’applications plus fiables et moins sujettes aux interruptions lors des bulles spéculatives.
À long terme, cette stabilité pourrait même attirer de nouvelles catégories d’utilisateurs – institutions, entreprises, gouvernements – et donc augmenter la valeur fondamentale du réseau. Un cercle vertueux.
Vers une finance réellement programmable du blockspace
Ce qui est passionnant dans cette proposition, c’est qu’elle ouvre la porte à une véritable financiarisation du blockspace. On pourrait imaginer dans un second temps :
- Des options sur le gas (pour se protéger uniquement à la hausse ou à la baisse)
- Des swaps de volatilité de frais
- Des produits structurés pour les DAOs qui veulent garantir des coûts de gouvernance fixes
- Des assurances contre les pics extrêmes
On passe d’un modèle primitif (« je paye ce que le réseau exige à l’instant T ») à un marché mature où chaque acteur peut choisir son profil de risque, exactement comme dans la finance traditionnelle – mais de manière totalement décentralisée et transparente.
En résumé, Vitalik ne propose pas juste une amélioration technique. Il dessine les contours d’une nouvelle économie du blockspace où la prévisibilité devient un bien public et où le prix du futur guide les décisions du présent.
La proposition n’est pas encore un EIP formel et aucune date n’est avancée. Mais quand on connaît la vitesse à laquelle les idées de Vitalik se transforment en réalité sur Ethereum, il y a fort à parier que nous reparlerons très sérieusement des gas futures dès 2026… voire avant.
Une chose est sûre : si ce mécanisme voit le jour, il pourrait bien être l’une des évolutions les plus sous-estimées – et pourtant les plus impactantes – de la prochaine décennie Ethereum.









