Imaginez arriver dans un pays que vous considérez comme le vôtre, franchir la frontière avec un passeport qui porte encore votre nom, puis vous retrouver quelques semaines plus tard accusé d’être un espion entraîné par le Mossad. C’est exactement ce qui vient d’arriver à un binational résidant en Europe : l’Iran annonce son renvoi devant un tribunal révolutionnaire pour « coopération en matière de renseignement et espionnage au profit du régime sioniste ».
Une affaire qui tombe au pire moment
Le timing ne doit rien au hasard. L’arrestation s’est produite pendant le conflit éclair de douze jours qui a opposé l’Iran à Israël en juin dernier. Un mois avant les premières frappes israéliennes du 13 juin, l’homme était déjà sur le sol iranien. Pour les autorités de Téhéran, le doute n’est pas permis : il préparait le terrain.
Ce que l’on sait officiellement reste mince, volontairement. L’agence du pouvoir judiciaire parle d’un « binational vivant dans un pays européen ». Point final sur l’identité. En République islamique, la double nationalité n’existe pas : dès lors qu’une personne possède la nationalité iranienne, elle est jugée exclusivement selon les lois iraniennes, peu importe l’autre passeport.
Des accusations lourdes comme la peine de mort
Le dossier est accablant, selon les termes officiels. L’accusé aurait suivi un entraînement complet d’agent de renseignement dans plusieurs capitales européennes et « dans les territoires occupés » – formulation habituelle pour désigner Israël. Des contacts réguliers avec le Mossad sont évoqués. Et surtout, lors de son arrestation, les forces de sécurité auraient saisi du matériel d’espionnage particulièrement sophistiqué, retrouvé à la fois sur lui et dans la villa qu’il occupait.
Depuis octobre, la législation iranienne a été durcie de façon spectaculaire. Toute activité d’espionnage au profit d’Israël ou des États-Unis est désormais passible de la confiscation totale des biens et, surtout, de la peine capitale. Les procès sont expéditifs. Depuis la fin de la guerre de juin, au moins neuf personnes condamnées pour collaboration avec le Mossad ont déjà été exécutées.
« Toute activité de renseignement ou d’espionnage pour le compte d’Israël, des États-Unis ou d’autres gouvernements hostiles sera punie par la confiscation de tous les biens et passible de peine de mort. »
Loi adoptée en octobre par le Parlement iranien
Un contexte de guerre encore brûlant
Pour bien comprendre l’ampleur de l’affaire, il faut revenir quelques mois en arrière. Le 13 juin, Israël lance une attaque d’une ampleur inédite : des dizaines de sites militaires, nucléaires et même des zones habitées sont frappés. L’Iran riposte. Pendant douze jours, le Moyen-Orient retient son souffle. Les États-Unis interviennent à leur tour en bombardant trois sites nucléaires majeurs. Le cessez-le-feu du 24 juin met fin aux hostilités directes, mais pas à la traque.
Dès les premiers jours du conflit, les autorités iraniennes annoncent des arrestations en série. Des réseaux entiers seraient démantelés. Parmi les personnes interpellées figurent plusieurs étrangers, dont des Européens. L’un d’eux, un jeune cycliste franco-allemand de 19 ans, a été libéré en octobre après des mois de détention. Mais pour beaucoup d’autres, l’étau ne s’est jamais relâché.
Le Mossad, ennemi public numéro un
En Iran, le nom du Mossad résonne comme une menace permanente. Depuis des années, Téhéran accuse les services israéliens de sabotages répétés sur ses installations nucléaires et d’assassinats ciblés de scientifiques. Chaque explosion suspecte, chaque chercheur retrouvé mort ramène invariablement à la même conclusion officielle : l’ombre du Mossad.
Cette fois, l’accusation va plus loin. Former des agents en Europe, leur faire franchir la frontière avec du matériel de pointe, louer une villa discrète pour servir de base : l’opération décrite ressemble à un scénario de film d’espionnage. Sauf qu’ici, la fin risque d’être bien réelle et tragique.
Double nationalité : un piège juridique redoutable
Le statut de binational est un cauchemar diplomatique. D’un côté, le pays européen d’accueil considère son citoyen comme protégé par les conventions consulaires. De l’autre, l’Iran refuse catégoriquement de reconnaître cette seconde nationalité et traite l’intéressé comme un pur citoyen iranien, donc justiciable des tribunaux révolutionnaires.
Ce n’est pas la première fois. Des affaires similaires ont déjà empoisonné les relations entre Téhéran et plusieurs capitales européennes. Chercheurs, journalistes, simples voyageurs : dès lors qu’un lien, même lointain, avec l’Iran existe, le risque plane.
Ce que cette affaire dit du climat actuel
Plus qu’un simple fait divers judiciaire, ce renvoi en procès cristallise plusieurs tensions. D’abord la volonté iranienne de montrer qu’aucune infiltration ne restera impunie, surtout après l’humiliation des frappes de juin. Ensuite, la radicalisation législative : en quelques mois à peine, le cadre juridique s’est durci jusqu’à rendre la peine de mort quasi-automatique pour ce type de chefs d’accusation.
Enfin, c’est un avertissement clair adressé aux dizaines de milliers de binationaux vivant à l’étranger : rentrer en Iran, même pour un court séjour familial, peut désormais se transformer en piège irréversible.
Le procès à venir sera suivi de très près. Pas seulement par les diplomates européens qui, en coulisses, tentent déjà de connaître l’identité exacte de l’accusé. Mais aussi par tous ceux qui, de par le monde, possèdent un passeport iranien en plus d’un autre. Car derrière les mots « espionnage » et « Mossad », c’est une question bien plus large qui se pose : jusqu’où ira la chasse aux « traîtres » dans un pays encore sous le choc d’une guerre éclair ?
Pour l’instant, une seule certitude : le tribunal révolutionnaire qui va juger l’affaire n’a pas la réputation de faire dans la demi-mesure. Et quand la peine de mort figure explicitement dans la nouvelle loi, les marges de manœuvre diplomatiques se réduisent comme peau de chagrin.
À suivre, donc. Très attentivement.









