Imaginez une région où l’on cultive la gomme arabique qui finit dans votre soda, où l’on extrait le pétrole qui traverse la moitié du continent, et où, en quelques semaines, tout peut basculer dans le chaos absolu. C’est exactement ce qui se passe aujourdement au Kordofan, cette vaste zone centrale du Soudan que beaucoup découvraient à peine sur une carte et qui risque de devenir le tombeau ou le tremplin de l’un des deux camps qui s’y déchirent.
Le Kordofan, nouvelle ligne de fracture d’une guerre sans fin
Depuis la chute d’El-Facher, dernier bastion militaire au Darfour, les Forces de soutien rapide (FSR) n’ont plus de frein à l’ouest. Leur regard s’est immédiatement tourné vers l’est : le Kordofan. Cette région n’est pas un objectif parmi d’autres. Elle est la charnière qui peut soit protéger Khartoum, soit l’ouvrir grand aux paramilitaires.
Les combats font rage, les informations contradictoires pleuvent, et les civils, eux, n’ont plus nulle part où fuir. Voici ce que l’on sait, point par point, de cette bataille qui pourrait redessiner la carte du pouvoir au Soudan.
Pourquoi le Kordofan est-il si stratégique ?
Le Kordofan n’est pas seulement grand. Il est vital. Situé entre le Darfour désormais acquis aux FSR et les régions encore tenues par l’armée régulière, il forme le dernier arc défensif avant le centre du pays.
Sur le plan militaire, c’est une plaque tournante pour les mouvements de troupes et le ravitaillement. Sur le plan économique, c’est une mine d’or – littéralement – et un grenier. Gomme arabique, sésame, sorgho, élevage intensif, mines d’or et, surtout, champs pétrolifères : tout y est.
Le plus grand site de traitement du pétrole soudanais, essentiel également pour l’exportation du brut sud-soudanais, est passé sous contrôle paramilitaire en début de semaine. Un coup dur, financier et symbolique, pour l’armée du général Burhane.
Qui affronte qui sur le terrain ?
D’un côté, l’armée régulière, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane. Elle aligne des chars chinois, des avions de combat hérités de l’ère soviétique et, surtout, une flotte grandissante de drones turcs et iraniens. L’Égypte, discrètement, apporte son soutien logistique.
En face, les Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti ». Issues des anciennes milices Janjawid, elles ont muté en une force quasi professionnelle, accusée de recevoir armes, carburant et mercenaires depuis les Émirats arabes unis – accusations toujours démenties par Abu Dhabi.
Le tournant récent ? L’alliance conclue avec la faction SPLM-N d’Abdel Aziz al-Hilu, puissante dans les montagnes Nuba et certaines zones du Nil Bleu. Ce rapprochement offre aux FSR des combattants aguerris et des bases arrière solides dans des zones escarpées.
Où se concentrent les combats les plus violents ?
Quatre villes-casernes constituent les points chauds :
- El-Obeid, capitale du Kordofan-Nord, encerclée depuis des mois et vitale pour la liaison Darfour-Khartoum.
- Kadougli et Dilling, dans le Sud, sous siège prolongé, au bord de la famine.
- Babanusa, dans l’Ouest, dont la prise est revendiquée par les FSR mais contestée par l’armée.
Plus au nord, la petite ville de Bara a été récemment reprise par l’armée, preuve que la ligne de front reste mouvante. Dans les montagnes Nuba, la pression s’accentue autour de Kauda, fief historique du SPLM-N.
Les drones, nouvelle terreur du ciel soudanais
Le conflit a basculé dans une dimension technologique effrayante. Les deux camps utilisent massivement des drones armés, frappant sans distinction marchés, écoles, hôpitaux.
Le 4 décembre, une attaque attribuée aux FSR a détruit une école maternelle et un hôpital à Kalogi : 114 morts, dont 63 enfants. La veille, un drone de l’armée tuait six civils à Nama. Le 29 novembre, 45 personnes, dont de nombreux étudiants, périssaient à Kauda sous un bombardement militaire.
Ces chiffres glacés ne rendent pas compte de l’horreur quotidienne. Les survivants parlent d’un ciel devenu ennemi.
Une catastrophe humanitaire qui s’emballe
L’ONU a officiellement déclaré l’état de famine à Kadougli en novembre. Dilling est classée « à risque imminent ». Certaines poches des montagnes Nuba sont en famine depuis 2024.
Plus de 45 000 personnes ont fui la région depuis fin octobre. Les routes sont minées, les checkpoints multiples, les prix des denrées explosent. Les ONG peinent à accéder aux zones les plus touchées.
« Les enfants meurent de faim devant nos yeux, et nous n’avons plus rien à leur donner »
Un travailleur humanitaire anonyme à Kadougli
Dans ce contexte, chaque avancée militaire se paie au prix fort par la population.
Quelles perspectives pour les prochains mois ?
Si les FSR parviennent à consolider leurs gains au Kordofan et à couper définitivement la route El-Obeid-Khartoum, la capitale redeviendra accessible. L’armée perdrait alors son dernier bouclier géographique.
Mais rien n’est joué. L’alliance avec le SPLM-N reste fragile, les lignes d’approvisionnement des FSR sont longues, et l’armée conserve une supériorité aérienne relative. L’hiver, avec ses pluies, pourrait ralentir les opérations.
Une chose est sûre : tant que le Kordofan brûlera, le Soudan tout entier continuera de saigner. Et les grandes puissances régionales, Égypte d’un côté, Émirats de l’autre, continueront d’attiser le feu par procuration.
Le sort de millions de Soudanais se joue en ce moment même dans ces plaines poussiéreuses et ces montagnes escarpées. Et pour l’instant, personne ne semble prêt à lâcher prise.
À retenir : Le Kordofan n’est pas qu’un champ de bataille de plus. C’est le verrou qui, une fois sauté, pourrait précipiter la chute de Khartoum ou, au contraire, offrir à l’armée un sursis inespéré. Dans les deux cas, ce sont les civils qui trinquent déjà.
Suivez l’évolution de la situation heure par heure, car les prochains jours risquent d’être décisifs. Le Soudan n’a clairement pas fini de nous surprendre… ni de nous horrifier.









