Imaginez la scène : une bibliothèque calme en plein centre de São Paulo, un dimanche après-midi ordinaire, et soudain deux hommes armés surgissent. En quelques minutes, ils emportent des trésors inestimables. Huit gravures d’Henri Matisse et cinq de Candido Portinari disparaissent à jamais sous les yeux impuissants d’une gardienne et d’un couple de visiteurs âgés.
Un vol éclair qui choque le Brésil
C’est à la Bibliothèque municipale Mário de Andrade, l’une des institutions culturelles les plus prestigieuses de la ville, que l’incroyable s’est produit. Les voleurs n’ont pas hésité à menacer les personnes présentes pour atteindre leur objectif : une vitrine contenant des pièces exceptionnelles prêtées pour une exposition temporaire.
Leur butin ? Des œuvres d’une rareté extrême, issues de collections soigneusement protégées jusqu’alors.
Que s’est-il exactement passé ce dimanche ?
Vers le milieu de l’après-midi, deux individus entrent dans les lieux comme de simples visiteurs. Très vite, ils sortent leurs armes et neutralisent la gardienne ainsi que les seules personnes présentes : un couple de retraités venu admirer l’exposition « Du livre au musée ».
Ils se dirigent droit vers la vitrine en verre, brisent la protection avec une efficacité glaçante, saisissent les treize gravures, les glissent dans un sac en toile et repartent par la grande porte. Le tout en moins de cinq minutes.
Aucun coup de feu, aucune violence physique grave rapportée, mais une détermination froide qui laisse tout le monde sidéré.
Les œuvres volées : des joyaux d’une valeur inestimable
Parmi les pièces disparues figurent huit collages-pochoirs provenant de l’album Jazz, publié par Henri Matisse en 1947. Cet ouvrage mythique n’a été tiré qu’à trois cents exemplaires dans le monde. Chaque planche est réalisée selon la technique du pochoir découpé, avec des couleurs éclatantes appliquées à la main.
Le critique d’art et conservateur Tadeu Chiarelli, interrogé après le drame, n’a pas mâché ses mots : « Leur valeur culturelle et artistique est inestimable. Ce vol est très triste. »
Leur valeur culturelle et artistique est inestimable. Ce vol est très triste.
Tadeu Chiarelli, critique et conservateur
Les cinq autres œuvres appartiennent à Candido Portinari, figure majeure de la peinture brésilienne du XXe siècle. Il s’agit d’illustrations réalisées pour l’édition de 1959 du livre Menino de Engenho. Des tirages eux aussi extrêmement rares.
L’exposition « Du livre au musée » touchée en plein cœur
L’exposition, inaugurée en octobre et qui se terminait précisément ce dimanche fatidique, présentait des livres rares et des œuvres graphiques des années 1940-1950. Elle était le fruit d’une collaboration entre la bibliothèque Mário de Andrade et le Musée d’art moderne de São Paulo (MAM).
Les pièces volées provenaient toutes des collections du MAM. Ironie cruelle : le dernier jour d’ouverture aura été aussi celui de leur disparition.
Une sécurité apparemment insuffisante
Comment une institution aussi importante a-t-elle pu être aussi vulnérable ? La question brûle toutes les lèvres. Si des caméras de surveillance ont filmé les auteurs, aucun système d’alarme silencieuse ou de gardiennage renforcé n’a empêché le vol.
La vitrine, bien que sécurisée, n’a pas résisté plus de quelques secondes. Un simple sac en toile a suffi à emporter des décennies d’histoire artistique.
Ce drame relance le débat sur la protection des œuvres dans les institutions publiques brésiliennes, souvent confrontées à des budgets limités.
Portinari déjà victime par le passé
Ce n’est malheureusement pas la première fois que l’œuvre de Candido Portinari est visée. En 2007, son tableau O Lavrador de Café avait été volé au Musée d’Art de São Paulo (MASP) avec un autre chef-d’œuvre de Picasso. Les deux toiles avaient heureusement été retrouvées quelques semaines plus tard.
Cette fois, les gravures sont beaucoup plus discrètes et transportables. Leur petite taille les rend particulièrement vulnérables sur le marché noir.
L’enquête est en cours
Les images des caméras de surveillance ont permis d’identifier les deux suspects. La police civile de São Paulo traque activement les auteurs et leurs éventuels complices.
Les autorités appellent toute personne ayant des informations à se manifester. Le marché noir de l’art reste très actif en Amérique latine, et chaque heure compte pour espérer retrouver les pièces.
Pourquoi ces œuvres sont-elles si convoitées ?
L’album Jazz représente l’un des sommets de l’œuvre tardif de Matisse. Convalescent, le peintre découpe directement dans des feuilles gouachées pour créer des formes pures et vibrantes : acrobates, lagons, cœurs transpercés, sirènes… Chaque planche est une explosion de couleur et de joie malgré la souffrance physique de l’artiste.
Sur le marché légal, une planche isolée de Jazz peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. À l’étranger, sur le marché parallèle, la valeur peut être multipliée par la rareté et l’interdiction de revente.
Quant aux Portinari, leur statut d’icône nationale brésilienne les rend tout aussi précieux pour certains collectionneurs peu scrupuleux.
Un coup dur pour la culture brésilienne
Au-delà de la perte matérielle, c’est tout un pan du patrimoine qui se trouve menacé. Ces œuvres étaient accessibles au public, offertes à la contemplation de tous. Leur disparition prive des générations futures d’un contact direct avec ces maîtres.
La mairie de São Paulo a exprimé sa consternation et promis de renforcer la sécurité des institutions culturelles. Reste à savoir si ces mesures arriveront à temps pour éviter d’autres drames.
En attendant, le monde de l’art retient son souffle. Retrouvera-t-on un jour ces treize fragments d’histoire ? Ou rejoindront-elles la longue liste des œuvres perdues à jamais ?
L’histoire nous le dira. Mais une chose est sûre : ce vol laisse une cicatrice profonde dans le cœur culturel de São Paulo et bien au-delà.









