Le 8 décembre 2024, Damas tombait en quelques heures. Une offensive éclair menée par des forces islamistes mettait fin à plus d’un demi-siècle de pouvoir de la famille Assad. Un an plus tard, les Syriens se réveillent dans un pays libre du dictateur… mais toujours enchaîné par la peur et les rancœurs.
Un anniversaire à deux visages
Pour certains, c’est la fête. Des feux d’artifice artisanaux illuminent encore certains quartiers, des chansons révolutionnaires résonnent dans les rues reconstruites à la hâte. Pour d’autres, c’est le silence lourd des camps de tentes où l’on grelotte sous des bâches en plastique. L’ONU, par la voix de sa Commission d’enquête indépendante sur la Syrie, vient de le rappeler sans détour : la transition reste extrêmement fragile.
Les enquêteurs saluent les premiers pas du nouveau pouvoir : ouverture de certains dossiers, tentatives de justice transitionnelle, libération de prisonniers politiques. Mais ils pointent surtout ce qui fait mal : de nouvelles violences post-Assad ont provoqué des déplacements de population et une polarisation inquiétante du pays.
Les crimes du passé pèsent encore
Le régime Assad a laissé derrière lui ce que la Commission qualifie de « violence criminelle à l’échelle industrielle ». Des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés, des prisons où la torture était banalisée. Ce catalogue effroyable ne disparaît pas par décret.
« Les cycles de vengeance et de représailles doivent cesser »
Commission internationale indépendante sur la Syrie, 7 décembre 2025
Cette phrase résonne comme un ultimatum. Car si les crimes d’hier restent impunis ou, pire, servent de prétexte à de nouvelles exactions, alors le pays risque de replonger dans le chaos.
Les nouveaux visages de la violence
Depuis un an, des règlements de comptes ont éclaté un peu partout. Des anciens cadres du régime exécutés sans jugement, des minorités alaouites ou chrétiennes menacées, des bombardements de représailles dans certaines zones. Chaque mort appelle une autre mort, chaque famille endeuillée cherche à laver l’honneur dans le sang.
Résultat : des milliers de Syriens ont de nouveau fui leur village. Des camps déjà saturés accueillent de nouveaux arrivants. L’hiver 2025 s’annonce particulièrement rude sous les tentes.
La plaie ouverte des disparus
Parmi les douleurs les plus vives, il y a celle des dizaines de milliers de personnes portées disparues sous le régime Assad. Des mères attendent encore devant les anciennes prisons, brandissant les photos jaunies de leurs enfants. Le sort de ces détenus reste inconnu pour la majorité d’entre eux.
L’ONU insiste : sans vérité sur ces disparitions, sans corps rendus aux familles, sans reconnaissance officielle des crimes, la réconciliation restera un vœu pieux.
Un État de droit pour tous : le défi immense
La Commission rêve tout haut d’une Syrie où l’égalité devant la loi ne serait pas un slogan. Un pays où aucune communauté ne craindrait pour sa sécurité en raison de sa religion ou de son passé politique. Un État garantissant paix et dignité à tous.
Mais pour y parvenir, il faudra bien plus que des bonnes intentions. Il faudra des institutions neutres, une justice indépendante, des forces de sécurité qui protègent au lieu de réprimer. Et surtout du temps. Beaucoup de temps.
Le peuple syrien mérite la paix
Le communiqué onusien conclut sur une note d’espoir mesuré. « Le peuple syrien mérite de vivre en paix, avec le plein respect des droits longtemps niés, et nous ne doutons pas qu’il en soit capable. »
Cette capacité, les Syriens l’ont déjà prouvée : par leur résilience face à treize ans de guerre, par leur créativité pour survivre, par leur envie farouche de vivre libres. Reste à transformer cette énergie en projet collectif plutôt qu’en affrontements communautaires.
Un an après la chute d’Assad, la Syrie se trouve à la croisée des chemins. Soit elle brise enfin le cycle de la vengeance et construit un avenir commun. Soit elle laisse les vieux démons reprendre le dessus. L’ONU, comme des millions de Syriens, retient son souffle.
La transition syrienne n’est pas seulement une affaire syrienne.
Elle concerne toute la région et, au-delà, le monde entier qui regarde, parfois indifférent, parfois impuissant.
Car si la Syrie replonge, les conséquences se feront sentir bien au-delà de ses frontières : nouvelles vagues migratoires, renforcement des groupes extrémistes, instabilité régionale accrue.
Au contraire, une transition réussie pourrait devenir un modèle pour d’autres pays sortis de la dictature. Un signal que, même après les pires horreurs, la reconstruction reste possible.
Aujourd’hui, un an après la libération de Damas, l’espoir est toujours là. Fragile, vacillant, mais vivant. Et tant qu’il reste des Syriens pour y croire, rien n’est perdu.









