Imaginez une matinée ordinaire dans une petite ville du Kordofan-Sud. Les enfants de 5 à 7 ans arrivent à l’école maternelle, sacs colorés sur le dos, rires dans l’air malgré la guerre qui gronde au loin. Et puis, sans avertissement, le ciel se met à hurler.
L’attaque qui a choqué jusqu’aux humanitaire chevronnés
Jeudi dernier, trois frappes successives de drones ont semé la mort à Kalogi, localité contrôlée par l’armée régulière. La première a touché l’école maternelle en pleine activité. La deuxième a visé l’hôpital où les survivants étaient transportés. La troisième a délibérément ciblé les sauveteurs venus porter secours aux petits corps ensanglantés.
Le bilan, encore provisoire, fait état d’au moins 79 morts selon les autorités locales alignées sur l’armée, dont 43 enfants. L’Unicef, plus prudente, confirmait déjà jeudi la mort d’au moins dix enfants de 5 à 7 ans. Dans ce genre de conflit, la vérité finit toujours par dépasser les chiffres officiels.
« Tuer des enfants dans leur école est une violation horrible des droits de l’enfant »
Sheldon Yett, représentant de l’Unicef au Soudan
Qui a lancé ces drones ?
Essam al-Din al-Sayed, responsable administratif de Kalogi, n’a aucun doute : l’attaque a été menée par les Forces de soutien rapide (FSR) et leurs alliés du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord dirigé par Abdelaziz al-Hilu.
Les FSR, ex-milices Janjawid devenues paramilitaires puissants, sont en guerre ouverte contre l’armée régulière depuis avril 2023. Leur offensive récente dans la région pétrolifère du Kordofan vise clairement à percer les lignes de défense qui protègent encore le centre du pays.
L’utilisation croissante de drones par les deux camps marque une escalade technologique terrifiante. Des appareils bon marché, souvent d’origine iranienne ou chinoise, permettent désormais de frapper avec précision… ou plutôt avec une précision criminelle quand les c’est une école qui est visée.
Une stratégie qui ne cache plus son cynisme
Frapper une école, puis l’hôpital, puis les sauveteurs : ce triptyque n’a rien d’accidentel. C’est une tactique éprouvée pour terroriser les populations et vider les territoires contrôlés par l’adversaire.
Après avoir conquis El-Facher fin octobre – dernier bastion militaire dans l’ouest –, les FSR poursuivent leur progression vers l’est. Objectif affiché par les analystes : briser l’arc défensif qui entoure encore Khartoum et les grandes villes du centre.
En un mois, plus de 40 000 personnes ont fui la région du Kordofan, selon l’ONU. Des familles entières marchent des jours durant pour échapper aux combats et aux bombardements indiscriminés.
Le Soudan, champion tragique des crises oubliées
Depuis avril 2023, ce conflit opposant le général al-Burhane (armée) au général Hémetti (FSR) a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Le chiffre exact ? Personne ne le connaît vraiment. Les ONG parlent de 150 000 morts au minimum, mais le black-out médiatique et l’insécurité rendent tout comptage impossible.
Ce qui est certain, c’est que 12 millions de Soudanais ont été déplacés – le plus grand exode de population au monde actuellement. La famine menace 25 millions de personnes. Des villes entières comme Khartoum sont devenues des champs de ruines où les chiens errants disputent les cadavres aux vautours.
Et pendant ce temps, le monde regarde ailleurs. L’Ukraine, Gaza, les élections américaines… Le Soudan n’a pas la chance d’être géopolitiquement sexy.
Kalogi, symbole d’une guerre sans limites
L’histoire de Kalogi résume toute l’horreur de ce conflit. Une école touchée en premier, parce qu’elle représente l’espoir. Un hôpital bombardé ensuite, parce qu’il représente la vie. Des sauveteurs visés en dernier, parce qu’ils représentent l’humanité.
Lorsque même les lieux censés être protégés par le droit international deviennent des cibles prioritaires, on comprend que plus aucune règle ne tient. Ni Genève, ni La Haye, ni les appels pathétiques du Conseil de sécurité.
Dans certaines guerres, on tue des soldats.
Dans d’autres, on tue l’avenir.
À Kalogi, les FSR ont choisi la deuxième option.
Et maintenant ?
Aucune enquête indépendante n’est possible dans la zone. Les journalistes ne peuvent pas accéder au Kordofan-Sud. Les ONG humanitaires sont bloquées ou prises pour cible. Même les connexions internet passent par des Starlink de fortune, comme celle qu’utilisait le responsable local pour al-Sayed pour alerter le monde.
Le silence risque donc de retomber rapidement sur Kalogi. Comme il est retombé sur Nyala, sur Geneina, sur Wad Madani. Des villes martyres dont on ne parle plus une semaine avant de passer à autre chose.
Mais tant que des enfants continueront d’être ensevelis sous les décombres de leurs salles de classe, il restera impossible de regarder ailleurs sans une immense honte collective.
Le Soudan ne demande pas la charité. Il demande que l’on cesse de financer, directement ou indirectement, ceux qui transforment ses écoles en cimetières.
Parce qu’un jour, il faudra bien rendre des comptes. Et ce jour-là, les images de Kalogi hanteront ceux qui auront choisi le silence.









