Imaginez une ville qui, pendant deux ans, a éteint ses lumières de Noël par respect pour les morts. Puis, un soir de décembre, les ampoules s’allument à nouveau, comme un cœur qui reprend timidement ses battements. C’est exactement ce qui s’est passé samedi soir à Bethléem.
Le Retour des Lumières sur la Place de la Mangeoire
Le grand arbre de Noël, couronné d’une étoile rouge scintillante, s’est illuminé devant une foule dense et émue. Les applaudissements ont retenti, mêlés aux sons joyeux d’une fanfare de cornemuses jouée par les scouts palestiniens. L’ambiance était à la fois traditionnelle et surprenante : des airs de Jingle Bells côtoyaient les parfums de café cardamome et les bonnets à pompon rouge vendus par des Pères Noël en manteau pourpre.
La pluie fine, presque une bénédiction après une année de sécheresse, n’a découragé personne. Enfants avec des ballons, religieuses en habit, familles musulmanes venues célébrer avec leurs voisins chrétiens : la place respirait une joie simple et précieuse.
Deux Années d’Annulation pour Solidarité avec Gaza
En 2023 et 2024, la municipalité avait choisi le silence. Pas de lumières, pas de parades, pas de marché de Noël. Une décision prise en solidarité avec la population de Gaza, alors sous un déluge de feu. Le maire Nicola Canawati et les autorités locales avaient estimé que fêter dans ces conditions aurait été indécent.
Aujourd’hui, une trêve fragile tient depuis près de deux mois. Suffisamment pour que Bethléem décide de rallumer ses guirlandes, mais pas assez pour effacer les cicatrices. La guerre déclenchée le 7 octobre 2023 par l’attaque du Hamas, suivie de la réponse militaire israélienne, a profondément marqué la région.
« Nous voulons célébrer et être avec nos frères et sœurs à Bethléem pour profiter de cette journée. C’est comme un symbole de résilience. »
Abir Shtaya, 27 ans, venue de Salfit malgré les barrages
Une Ville Majoritairement Musulmane qui Fête Noël
Bethléem n’est plus la ville chrétienne d’antan. La majorité de ses habitants sont aujourd’hui musulmans. Pourtant, Noël reste une fête collective. Les familles viennent nombreuses, hijab ou pas, pour voir les lumières et partager un moment de légèreté.
Cette année, la présence de visiteurs venus de Chine, d’Amérique du Sud ou d’Europe de l’Est a renforcé ce sentiment d’universalité. Une femme d’origine chinoise installée en Israël depuis des décennies confiait son émotion : après deux ans « de rien d’autre que la guerre et la mort », revoir ces lumières faisait un bien immense.
Le Tourisme Religieux Reprend Timidement
Bethléem vit essentiellement du tourisme lié aux Lieux saints. La pandémie de Covid avait déjà porté un coup terrible. Puis la guerre a tout gelé. Les pèlerins ont déserté les rues, les hôtels sont restés vides, les boutiques de souvenirs ont fermé les unes après les autres.
Aujourd’hui, on observe un frémissement. De petits groupes, surtout asiatiques et sud-américains, recommencent à arpenter la basilique de la Nativité. Les guides comme Fabien Safar préparent trois voyages pour la fin décembre – une première depuis longtemps.
Mais la prudence reste de mise. Beaucoup hésitent encore, craignant une reprise des hostilités, surtout avec les tensions au Liban. Les professionnels estiment qu’une vraie reprise ne viendra peut-être qu’en 2027, le temps que la situation se stabilise durablement.
« Le Covid c’était mauvais, mais rien en comparaison de ces deux dernières années. »
Mike Shahen, commerçant de céramique sur la place de la Mangeoire
Un Message d’Espoir dans un Contexte Toujours Tendu
Pour les habitants, ces illuminations ne sont pas qu’une tradition. Elles portent un message : « Regardez, c’est calme ici. » Un appel au monde à revenir, à ne pas oublier Bethléem sous prétexte de conflit.
La saison festive ne s’arrêtera pas au 25 décembre. Elle se prolongera jusqu’au Noël orthodoxe du 7 janvier, comme le veut la coutume dans une région où cohabitent plusieurs calendriers religieux.
Sur la place, les rires d’enfants résonnent encore. Les vendeurs de café chaud font des affaires. Les scouts défilent. Et pendant quelques semaines, Bethléem redevient, le temps d’un soir, la ville de l’espérance.
Dans une région où la paix semble toujours hors de portée, rallumer les lumières de Noël est déjà un acte de courage. Bethléem nous rappelle que même dans l’ombre la plus dense, l’envie de vivre et de célébrer finit toujours par resurgir.
Ce retour des fêtes, aussi modeste soit-il, dit beaucoup sur la capacité humaine à trouver de la joie même quand tout semble incertain. Et peut-être est-ce là le vrai miracle de Noël, cette année, à Bethléem.









