Le 21 janvier 2019, le football perdait l’un de ses talents les plus prometteurs. Emiliano Sala, 28 ans, disparaissait dans le crash de son avion au-dessus de la Manche. Près de sept ans plus tard, l’histoire n’est toujours pas terminée. Lundi 8 décembre 2025, le tribunal de commerce de Nantes va accueillir un affrontement juridique hors norme entre Cardiff City et le FC Nantes. Au cœur du débat : une facture de plus de 120 millions d’euros et des questions qui touchent à l’intégrité même du football professionnel.
Un procès qui dépasse largement le cadre sportif
Ce n’est plus seulement l’histoire d’un transfert raté. C’est devenu une bataille juridique tentaculaire où chaque camp accuse l’autre d’être responsable du drame et de ses conséquences financières. Cardiff City, relégué en Championship quelques mois après la tragédie, estime que la mort de son nouveau joueur a précipité sa chute sportive et économique. Le club gallois pointe du doigt l’organisation du vol fatal et réclame réparation. De son côté, le FC Nantes conteste tout en bloc : faute, lien de causalité, montant du préjudice… Tout.
Ce face-à-face n’est pas une première. Les deux clubs se sont déjà croisés devant le Tribunal arbitral du sport et la Chambre de résolution des litiges de la FIFA. Mais cette fois, c’est différent. On parle d’un tribunal civil français, de droit commercial, et surtout d’une somme astronomique qui pourrait faire jurisprudence.
Retour sur les faits : chronologie d’une tragédie
Tout commence en janvier 2019. Emiliano Sala, auteur de 12 buts en 19 matchs avec Nantes, signe à Cardiff City pour 17 millions d’euros – un record pour le club gallois. Le 19 janvier, il fait l’aller-retour Nantes-Cardiff pour saluer ses anciens coéquipiers. Le retour, le 21 janvier, est fatal. L’avion, un Piper Malibu piloté par David Ibbotson, disparaît des radars à 20h30 au-dessus de la Manche.
L’épave sera retrouvée deux semaines plus tard à 67 mètres de profondeur. Le corps d’Emiliano Sala est repêché. Celui du pilote, jamais. L’enquête britannique conclura à une intoxication au monoxyde de carbone et à une vitesse excessive lors d’une manœuvre brutale. Le pilote n’avait pas de licence valide pour des vols commerciaux de nuit.
Le rôle central et controversé de Willie McKay
C’est là que l’affaire devient explosive. Cardiff City accuse l’agent Willie McKay d’avoir organisé le vol fatal. McKay, intermédiaire dans le transfert (mais pas l’agent officiel de Sala), a reconnu avoir affrété l’appareil via David Henderson, un homme condamné plus tard à 18 mois de prison pour avoir organisé un vol illégal.
Pour Cardiff, Nantes est responsable parce que McKay agissait pour le compte du club français. Le club gallois parle même d’un agent « interdit d’exercice » – une affirmation contestée mais lourde de sens. Nantes, lui, répète que McKay n’a jamais été mandaté officiellement et que le transfert était déjà finalisé quand le vol a été organisé.
« Cette audience marque une nouvelle étape vers la révélation de la vérité sur cette affaire et pour le renforcement de la responsabilité dans le monde du football. »
Communiqué de Cardiff City Football Club
120 millions d’euros : d’où vient ce chiffre vertigineux ?
Cardiff ne réclame pas seulement les 17 millions d’euros du transfert (qu’il a fini par payer après les décisions du TAS et de la FIFA). Le club gallois a mandaté un expert indépendant qui a chiffré le préjudice total à plus de 120 millions d’euros. Comment arrive-t-on à une telle somme ?
- Perte de revenus de Premier League après la relégation en 2019
- Manque à gagner sur les droits TV sur plusieurs saisons
- Coûts de recrutement pour remplacer un joueur jamais aligné
- Atteinte à l’image et à la réputation du club
- Conséquences sur le merchandising et les partenariats
Pour Cardiff, sans la mort de Sala, le joueur aurait marqué les buts nécessaires pour maintenir le club dans l’élite. Une thèse fragile sportivement, mais défendue bec et ongles sur le plan juridique.
La position du FC Nantes : « Aucune faute, aucun lien, aucun préjudice »
Du côté des Canaris, on reste serein. L’entourage de Waldemar Kita l’affirme : les demandes de Cardiff seront « purement et simplement rejetées ». Le club met en avant les décisions précédentes du TAS (2022) et de la FIFA (2023) qui ont validé le transfert et ordonné le paiement des 11 millions d’euros restants.
Pour Nantes, organiser un vol privé n’entre pas dans ses responsabilités. Le joueur avait signé, le transfert était effectif, point final. Quant à Willie McKay, il n’a jamais eu de mandat officiel du club.
Pourquoi ce procès pourrait faire date dans le football
Au-delà de l’argent, c’est tout un système qui est sur le banc des accusés. Les transferts à plusieurs dizaines de millions, les agents tout-puissants, les vols privés organisés dans l’urgence, les licences douteuses… Ce dossier met en lumière les zones grises du marché des transferts.
Si Cardiff obtient gain de cause, même partiellement, cela pourrait créer un précédent terrifiant pour les clubs vendeurs. Chaque fois qu’un joueur transféré décède ou se blesse gravement après son départ, le club vendeur pourrait être poursuivi pour l’organisation du voyage ou les conditions du transfert. Un risque juridique colossal.
À l’inverse, un rejet pur et simple des demandes de Cardiff renforcerait la jurisprudence actuelle : une fois le transfert validé par la FIFA, le club vendeur n’est plus responsable du joueur.
À lire entre les lignes : Ce procès n’est pas seulement une affaire d’argent. C’est une lutte pour la définition de la responsabilité dans le football moderne. Qui doit protéger les joueurs lorsqu’ils changent de club ? Les agents ? Les clubs acheteurs ? Les vendeurs ? Personne n’a encore de réponse claire.
L’audience du 8 décembre : à quoi s’attendre ?
L’audience initialement prévue en septembre a été reportée au lundi 8 décembre 2025. Ce sera une audience sur le fond, c’est-à-dire que les juges vont entrer dans le vif du sujet. Les avocats des deux parties vont présenter leurs arguments, leurs expertises, leurs témoins éventuels.
La décision ne sera probablement pas rendue le jour même. Elle pourrait intervenir dans les mois suivants, avec possibilité d’appel. Ce qui signifie que cette saga, déjà longue de sept ans, pourrait encore durer plusieurs années.
Ce qui est certain, c’est que le monde du football retiendra son souffle. Parce que derrière les millions et les arguments juridiques, il y a le souvenir d’un joueur de 28 ans qui n’a jamais pu porter le maillot de son nouveau club. Et une question qui reste sans réponse : aurait-on pu éviter cette tragédie ?
Lundi, à Nantes, le football ne sera pas seulement jugé sur ses terrains. Il le sera dans une salle d’audience. Et le verdict, quel qu’il soit, marquera probablement l’histoire du sport roi.









