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Crise en Syrie : Les Alaouites Boycottent les Fêtes d’Assad

Un chef spirituel alaouite lance un appel choc : rester chez soi du 8 au 12 décembre et boycotter les fêtes célébrant la chute d’Assad. Derrière la « liberté » promise, il dénonce massacres, arrestations et une oppression pire qu’avant. La minorité alaouite craque. Que va-t-il se passer ?

Imaginez célébrer la « liberté » sur les tombes encore fraîches de vos proches. C’est exactement ce que ressent aujourd’hui une partie de la population syrienne, un an après la chute de Bachar al-Assad.

Dans un message vidéo qui a rapidement fait le tour des réseaux, un dignitaire religieux alaouite de premier plan a appelé ses coreligionnaires à rester chez eux. Pas un commerce ouvert, pas une rue animée, pas un sourire forcé : une grève générale totale du 8 au 12 décembre. Le motif ? Refuser de participer à des festivités qu’il qualifie de « célébrations organisées sur notre sang ».

Un appel à la désobéissance civile pacifique

Le message est signé Ghazal Ghazal, président du Conseil islamique alaouite en Syrie et à l’étranger. Sa voix est calme mais ferme. Il parle lentement, comme quelqu’un qui pèse chaque mot pour qu’il porte jusqu’aux villages les plus reculés de la côte.

« Sous le slogan de la liberté, ils veulent imposer la célébration du remplacement d’un régime oppressif par un régime encore plus oppressif »

Cette phrase résume tout. Pour beaucoup d’alaouites, la révolution victorieuse de décembre 2024 n’a pas apporté la liberté promise, mais un nouveau cauchemar.

Des violences qui s’accumulent depuis un an

Depuis la prise de Damas par la coalition menée par Ahmad al-Chareh, les incidents visant la minorité alaouite n’ont cessé de se multiplier. Arrestations arbitraires, disparitions, maisons incendiées… et surtout des massacres d’une ampleur terrifiante.

En mars dernier, sur le littoral traditionnellement alaouite, plus de 1 700 personnes ont perdu la vie en quelques jours selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme. Une commission nationale d’enquête a confirmé au moins 1 426 morts, majoritairement des civils.

Ces chiffres glacés cachent des histoires individuelles insupportables : familles entières exécutées, jeunes enlevés pour ne jamais revenir, quartiers entiers rasés.

L’humiliation de devoir fêter « sur notre douleur »

Au-delà des violences physiques, c’est l’humiliation symbolique qui semble avoir fait déborder le vase. Obliger les survivants à danser, à brandir des drapeaux de la révolution, à sourire devant les caméras alors que leurs proches gisent encore sous les décombres : c’est cela que Ghazal Ghazal refuse catégoriquement.

« Ils nous obligent à participer à des célébrations organisées sur notre sang, notre douleur, notre souffrance… et à nous taire »

Rester chez soi devient alors le dernier acte de dignité possible. Un silence assourdissant face à des haut-parleurs qui hurlent la victoire.

D’autres minorités dans la tourmente

Les alaouites ne sont pas seuls à payer le prix du changement de régime. En juillet, la province druze de Soueida a connu des affrontements intercommunautaires qui ont fait plus de 2 000 morts. Là encore, des civils pris entre plusieurs feux.

Plus au nord, l’administration kurde a annoncé ce samedi l’interdiction de tout rassemblement public dimanche et lundi, invoquant la « situation sécuritaire » et l’activité de cellules terroristes. Un signe que même les zones relativement stables se préparent au pire.

Toutes ces minorités partagent aujourd’hui la même crainte : que la Syrie nouvelle ne soit pas plus inclusive que l’ancienne, mais simplement dominée par un autre groupe.

Une grève qui peut tout changer

Du 8 au 12 décembre, la côte syrienne pourrait ressembler à une ville fantôme. Les boutiques fermeront leurs rideaux métalliques. Les écoles resteront vides. Les rues, d’habitude animées, seront désertes.

Cette grève générale pacifique est présentée comme une « réponse claire et collective » à l’agression. Pas de violence, pas de confrontation directe, juste le refus catégorique de cautionner ce que beaucoup perçoivent comme une nouvelle tyrannie.

Dans un pays où l’image de l’unité nationale est brandie comme un totem par les nouvelles autorités, des villes entières silencieuses seraient un camouflet retentissant.

Entre espoir déçu et peur du lendemain

Il y a un an, des millions de Syriens dansaient dans les rues à l’annonce de la chute du régime. Aujourd’hui, certains d’entre eux pleurent leurs morts et se demandent si le prix n’était pas trop élevé.

La révolution avait promis la fin de l’oppression sectaire. Elle semble, pour une partie de la population, en avoir simplement inversé la cible.

Le message de Ghazal Ghazal dépasse largement la communauté alaouite. Il pose une question brutale à toute la Syrie nouvelle : une victoire peut-elle être célébrée quand elle laisse derrière elle autant de douleur et de ressentiment ?

Un précédent dangereux pour l’unité nationale

Si la grève est suivie massivement, elle pourrait marquer le début d’une fracture irréversible. Les nouvelles autorités devront choisir : écouter la colère ou la réprimer. Dans les deux cas, le pays risque de replonger dans un cycle de violence dont il sort à peine.

Rester sourd à cet appel au dialogue serait admettre que la « liberté » nouvelle n’est qu’un slogan pour les vainqueurs, et un cauchemar pour les vaincus.

La Syrie entre dans une semaine décisive. Des rideaux baissés sur la côte méditerranéenne pourraient faire plus de bruit que toutes les fanfares de la victoire.

À suivre dans les prochains jours : la grève sera-t-elle massive ? Les autorités réagiront-elles par le dialogue ou par la force ? Une chose est sûre : le silence des alaouites risque de résonner très loin.

La page de l’histoire syrienne n’est pas encore tournée. Elle s’écrit peut-être en ce moment même, derrière des volets clos, dans l’attente d’un avenir qui reste à inventer. Ou à sauver.

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