Imaginez une place capable d’accueillir des centaines de milliers de personnes, noyée sous un océan de drapeaux mexicains et de voix qui scandent le même message : « Tu n’es pas seule ! ». Samedi dernier, le Zócalo de Mexico a vibré d’une énergie rare. Claudia Sheinbaum, la première femme présidente du Mexique, y a rassemblé officiellement 600 000 partisans venus de tout le pays. Un chiffre impressionnant qui arrive au pire moment… ou au meilleur, selon le point de vue.
Un mois de novembre particulièrement rude
Depuis son investiture en octobre 2024, Claudia Sheinbaum surfait sur une popularité exceptionnelle. Mais novembre a tout fait basculer. L’assassinat d’un maire très aimé, critique de sa politique sécuritaire, a mis le feu aux poudres. Puis une manifestation de la génération Z a dégénéré. Enfin, la démission surprise du procureur général Alejandro Gertz a achevé de plonger le pays dans la tourmente.
Ces événements ont constitué le premier vrai test de résistance pour la nouvelle présidente. Et le verdict des sondages n’était pas bon : son approbation, qui frôtait les 74 % en octobre, est retombée à 71 % début décembre. Une chute modeste, mais symbolique.
Le Zócalo, théâtre historique du pouvoir populaire
Pour comprendre l’ampleur du rassemblement de samedi, il faut se souvenir que le Zócalo n’est pas n’importe quelle place. C’est le cœur battant du Mexique politique depuis des siècles. C’est là qu’Andrés Manuel López Obrador remplissait les lieux à chaque grand rendez-vous. Voir Claudia Sheinbaum réussir le même exploit moins de quatorze mois après son mentor n’est pas anodin.
Les images sont éloquentes : une marée humaine compacte, des familles entières, des groupes autochtones en tenues traditionnelles, des jeunes avec des pancartes colorées. Des bus affrétés depuis les États les plus lointains. Une logistique impressionnante orchestrée par le parti Morena et les structures territoriales du mouvement.
« Que personne ne se méprenne. Les jeunes sont en grande majorité favorables à la transformation »
Claudia Sheinbaum, depuis l’estrade du Zócalo
La réponse aux critiques sur la sécurité
La sécurité reste le talon d’Achille du gouvernement. L’assassinat du maire de Chilpancingo début novembre a rappelé que les cartels continuent de défier l’État. Les manifestations qui ont suivi, parfois violentes, ont accusé la présidente de poursuivre une stratégie trop conciliante héritée de son prédécesseur.
Sur le Zócalo, Claudia Sheinbaum a choisi de contre-attaquer directement. Elle a défendu les avancées sociales des sept dernières années : baisse historique de la pauvreté, augmentation du salaire minimum, programmes sociaux massifs. Pour elle, ces résultats constituent la meilleure réponse aux violences.
Elle a aussi insisté sur un point rarement mis en avant : la visibilité nouvelle accordée aux peuples autochtones. José Pérez, jeune artisan otomí de 24 ans présent dans la foule, le confirme : « Sous ce gouvernement, on nous voit enfin. » Un argument qui résonne particulièrement auprès des communautés indigènes, pilier électoral de Morena.
Un message à l’intérieur… et à l’extérieur
Ce rassemblement n’avait pas seulement vocation à rassurer la base populaire. Il s’adressait aussi aux cadres de Morena. Car les ennuis de la présidente ne viennent pas uniquement de l’opposition. Des tensions internes existent, notamment sur la vitesse et la méthode des réformes, en particulier judiciaire.
En remplissant le Zócalo, Claudia Sheinbaum envoie un signal clair : elle conserve le soutien de la rue, donc la légitimité pour imposer sa ligne. L’analyste Pablo Majluf parle d’une « tentative de recomposer le récit et d’appeler à l’unité » au sein même du mouvement.
À l’international, le message était tout aussi calculé. Face aux États-Unis, la présidente a vanté des « bonnes relations » fondées sur le respect de la souveraineté. Un rappel subtil alors que les négociations migratoires et commerciales vont reprendre avec la nouvelle administration américaine.
Et maintenant ? Les défis qui restent immenses
Le succès du rassemblement ne doit pas masquer la réalité. La criminalité reste à des niveaux dramatiques. Les jeunes, qui ont manifesté avec colère ces dernières semaines, représentent un défi générationnel. Et la cohésion interne de Morena sera mise à rude épreuve lors des élections intermédiaires de 2027.
Pourtant, l’image de ces 600 000 personnes reste puissante. Elle montre que, malgré les tempêtes, la base populaire de la « quatrième transformation » reste mobilisée. Claudia Sheinbaum a gagné du temps. Et dans la politique mexicaine, le temps peut parfois tout changer.
Le Zócalo a parlé. Reste à savoir si le reste du pays continuera à écouter.
En résumé :
- 600 000 personnes selon les autorités (chiffre contesté par l’opposition mais impressionnant)
- Premier grand test de mobilisation réussi pour Claudia Sheinbaum
- Réponse directe aux manifestations contre sa politique de sécurité
- Message d’unité envoyé à Morena et au monde entier
- Popularité en légère baisse mais toujours très élevée
La politique mexicaine reste plus que jamais un spectacle à ciel ouvert. Et samedi, le rideau s’est levé sur un acte décisif du mandat Sheinbaum. À suivre, très attentivement.









