Imaginez recevoir chaque mois l’argent envoyé par votre fils émigré aux États-Unis. Dans votre pays, l’inflation dépasse les 200 % par an. Le temps de retirer l’argent et de faire trois courses, sa valeur a déjà fondu de 15 %. Cette réalité, des millions de familles la vivent en Argentine, au Venezuela, au Liban ou au Zimbabwe. Et si une simple carte prépayée pouvait changer cela ?
Western Union change radicalement de cap
C’est exactement le pari que s’apprête à faire Western Union, le géant historique des transferts d’argent, en lançant en 2026 une carte prépayée adossée à un stablecoin dollar. Oui, vous avez bien lu : l’entreprise qui, en 2017, comparait encore Bitcoin à une marchandise spéculative sans avenir monétaire, devient l’un des premiers acteurs traditionnels à proposer une solution stablecoin grand public dans les pays en crise monétaire.
Le message est clair : quand la monnaie locale perd perd 5 à 10 % de sa valeur chaque mois, recevoir ses remises en pesos ou en bolivars revient à voir son pouvoir d’achat s’évaporer avant même d’avoir touché la carte bancaire. La nouvelle carte Western Union permettra de recevoir, stocker et dépenser directement en dollars numériques stables.
Un produit taillé pour l’hyperinflation
Le directeur financier Matthew Cagwin l’a confirmé lors de la conférence UBS Global Technology and AI : l’Argentine est le marché pilote idéal. Avec une inflation officielle dépassant les 200 % en 2024 et un taux parallèle (« dollar blue ») encore plus violent, des millions d’Argentins cherchent déjà des solutions en dollars. Mais ouvrir un compte bancaire américain reste hors de portée pour la majorité.
La carte Western Union vise précisément cette population. Les fonds envoyés par la diaspora arrivent directement en USDPT (US Dollar Payment Token), un stablecoin émis par Anchorage Digital sur la blockchain Solana. L’utilisateur reçoit une carte Visa physique ou virtuelle, peut payer chez tous les commerçants acceptant Visa et retirer des pesos (ou la monnaie locale) dans les 500 000 points Western Union du monde.
« Nous voulons offrir une protection immédiate contre la dévaluation. Le bénéficiaire reçoit des dollars, dépense des dollars, et ne subit plus l’inflation locale. »
Matthew Cagwin, CFO Western Union
Partenariat stratégique avec Rain et Visa
Pour rendre cela possible, Western Union s’est associé à Rain, une fintech spécialisée dans les cartes stablecoins. Rain fournit l’infrastructure permettant de transformer instantanément les stablecoins du portefeuille vers la carte Visa, et inversement. Résultat : même dans un village reculé disposant d’un simple point Western Union, on pourra convertir ses USDPT en cash local sans passer par une banque.
Le choix de Solana n’est pas anodin. Les frais de transaction sont inférieurs à 0,01 $, contre parfois plusieurs dollars sur Ethereum, ce qui est crucial quand on parle de micro-remittances de 50 ou 100 dollars.
Avantages concrets pour l’utilisateur final :
- Protection immédiate contre l’inflation
Un virage à 180° expliqué
Il y a encore huit ans, le directeur technique de Western Union déclarait publiquement que les cryptomonnaies n’avaient « ni gouvernance, ni conformité, ni stabilité » pour devenir un moyen de paiement sérieux. Alors pourquoi ce revirement spectaculaire ?
Le PDG Devin McGranahan donne la réponse : la clarté réglementaire arrivée fin 2024/début 2025, notamment aux États-Unis avec les nouvelles directives MiCA en Europe et les avancées de la SEC sur les stablecoins réglementés, a changé la donne. Anchorage Digital est une banque fédérale agréée, ce qui apporte la confiance institutionnelle nécessaire.
Au-delà de la réglementation, il y a l’urgence économique. Western Union a vu ses volumes stagner dans certains couloirs (États-Unis → Amérique latine) face à la concurrence de Binance, Wise ou même des groupes WhatsApp utilisant USDT. Rester à l’écart n’était plus tenable.
L’Argentine, laboratoire grandeur nature
En Argentine, plus de 2 millions de personnes utilisent déjà des stablecoins au quotidien (principalement USDT et USDC) via des applications comme Lemon Cash ou Belo. Mais ces solutions nécessitent un smartphone récent et une connexion internet stable. La carte Western Union s’adresse aussi à ceux qui n’ont pas ces outils : il suffira de se rendre dans une agence avec sa pièce d’identité pour récupérer sa carte préchargée.
Le gouvernement Milei, farouchement pro-dollar et pro-Bitcoin, ne devrait poser aucun obstacle. Au contraire : cela s’inscrit parfaitement dans la politique de dollarisation informelle en cours.
Et les autres pays dans le viseur ?
Après l’Argentine, la liste est longue :
- Venezuela (inflation toujours >100 %)
- Liban (livre libanaise effondrée)
- Turquie (lire en chute libre)
- Nigeria (naira dévalué de 70 % en 2024)
- Zimbabwe (retour à l’hyperinflation)
Tous ces pays partagent trois points communs : forte diaspora envoyant des remises, monnaie locale en perdition, et population déjà familière avec les dollars cash ou numériques.
Une concurrence qui s’intensifie
Western Union n’est pas seul sur ce créneau. Strike (l’application de Jack Mallers) propose déjà des cartes Visa chargées en Bitcoin converties automatiquement. Revolut et Wise commencent aussi à intégrer les stablecoins dans certains pays. Mais aucun n’a le réseau physique de Western Union : plus de 500 000 agences dans 200 pays.
Cet avantage « last mile » pourrait faire la différence dans les zones rurales ou les quartiers populaires où les smartphones haut de gamme et la 4G stable font défaut.
Vers une dollarisation mondiale par le bas ?
Ce lancement pose une question plus large : les stablecoins et cartes associées pourraient-ils accélérer une dollarisation de facto dans les pays en crise ? Quand une mère de famille à Caracas ou Harare paie son pain quotidien avec une carte Visa chargée en USDPT, elle utilise déjà le dollar numérique sans même le savoir.
Certains économistes parlent déjà d’une « dollarisation par le portefeuille » : plus besoin d’accord politique ou de loi, il suffit que les gens adoptent massivement ces outils pour que la monnaie locale devienne marginale dans les transactions quotidiennes.
Pakistan, mentionné dans le même temps, va encore plus loin : le pays prépare son propre stablecoin national tout en créant une réserve stratégique Bitcoin et en allouant 2 000 MW d’électricité au mining. La révolution est globale.
Conclusion : le début d’une nouvelle ère
En 2026, quand la première carte Western Union stablecoin sera remise à une famille argentine, ce ne sera pas seulement un nouveau produit bancaire. Ce sera la preuve que les géants traditionnels de la finance ont compris que les stablecoins ne sont plus une mode geek, mais un outil de survie pour des centaines de millions de personnes.
Et quelque part, Satoshi Nakamoto doit sourire : l’idée d’une monnaie résistante à la censure et à l’inflation, née dans un livre blanc en 2008, est en train de devenir, quinze ans plus tard, le quotidien de familles qui n’ont jamais entendu parler de blockchain.
Le futur de l’argent ne se décide plus seulement dans les salles de réunion des banques centrales. Il se décide aussi dans les files d’attente des agences Western Union de Buenos Aires, Caracas ou Lagos.









