Imaginez la scène : une nuit d’été à Portland, un arrêt de tramway désert, deux hommes qui ne se connaissent pas. Quelques secondes plus tard, l’un d’eux est à terre, une lame plantée dans l’épaule. L’agresseur ? Un sans-abri de 43 ans au casier judiciaire long comme le bras. La victime ? Un homme blanc qui, selon la défense, aurait proféré la pire insulte raciale imaginable. Résultat : le jury acquitte l’auteur du coup de couteau. Cette histoire, aussi brutale que réelle, s’est déroulée en juillet dernier dans l’Oregon et continue de faire trembler l’Amérique.
Un acquittement qui fait l’effet d’une bombe
Le 31 octobre 2025, après seulement quelques heures de délibération, le jury a rendu son verdict : non coupable ? Non. Gary Edwards, 43 ans, repart libre. Pourtant, les faits semblent accablants au premier regard : il a reconnu avoir porté un coup de couteau à Gregory Howard Jr. alors que celui-ci était assis sur un banc public. Mais dans ce procès, les images ne suffisent plus. Ce qui compte, c’est le contexte… ou plutôt la version du contexte que l’on accepte de croire.
Que s’est-il réellement passé ce 8 juillet ?
Les caméras de surveillance, muettes, montrent la séquence sans ambiguïté visuelle :
- Gary Edwards s’approche, un couteau à lame fixe à la main, d’un homme assis tranquillement.
- L’homme se lève immédiatement et le repousse violemment.
- Une bagarre éclate.
- Quelques secondes plus tard, Edwards plante sa lame dans l’épaule de sa victime avant de prendre la fuite.
Jusque-là, tout ressemble à une agression classique. Mais la défense va retourner complètement la perception des jurés.
La stratégie de défense : transformer l’agresseur en victime
L’avocat d’Edwards a construit toute sa plaidoirie autour d’une seule idée : son client a eu peur pour sa vie. Pourquoi ? Parce que Gregory Howard l’aurait traité du « n-word » – cette insulte raciale si explosive aux États-Unis qu’elle peut, dans certains contextes, être perçue comme une menace imminente.
« Qu’est-ce, à part le racisme, pourrait expliquer pourquoi M. Howard a perçu de la haine et de l’agressivité chez un parfait inconnu qui s’approchait simplement pour proposer un échange de couteau contre des cigarettes ? »
Maître Daniel Small, avocat de la défense
Problème majeur : aucune preuve audio n’existe que l’insulte ait été prononcée avant le coup de couteau. Les seules images où l’on entend clairement Gregory Howard hurler l’insulte datent… d’après qu’il a été poignardé, alors qu’il saigne abondamment au sol.
Le casier judiciaire qui aurait dû tout changer
Gary Edwards n’est pas un ange tombé du ciel par accident dans ce procès. Son passé est lourd, très lourd :
- 2020 : condamnation à trois ans de prison pour un autre coup de couteau.
- 2021 : condamnation pour tentative d’agression au second degré.
- Plusieurs autres affaires de violence, dont une bagarre avec un employé de magasin.
Les procureurs avaient d’ailleurs demandé son maintien en détention avant le procès, estimant qu’il représentait une menace claire pour la sécurité publique. Demande refusée. Trois mois plus tard, il était acquitté.
Le précédent terrifiant que ce verdict crée
Ce jugement pose une question vertigineuse : à partir de quel moment une insulte, même odieuse, justifie-t-elle une réponse létale ou quasi-létale ?
Car si demain n’importe qui peut s’approcher d’un inconnu avec une arme blanche, se faire repousser, puis porter un coup de couteau en invoquant une insulte raciale supposée, alors la porte est grande ouverte à tous les abus.
Et le plus troublant ? Le propre avocat d’Edwards a admis après le verdict que cette affaire n’aurait jamais dû arriver devant un tribunal. Autrement dit : il savait que le climat sociétal actuel rendait l’acquittement presque inévitable.
Portland, laboratoire de l’impunité ?
Ce n’est pas la première fois que la ville de Portland fait parler d’elle pour des décisions judiciaires controversées. Depuis 2020 et les émeutes Black Lives Matter, la cité de l’Oregon semble avoir adopté une tolérance particulière envers certains types de violence lorsque le contexte racial est invoqué.
Plusieurs affaires similaires ont déjà défrayé la chronique :
- Des agressions contre des militants de droite filmées en pleine rue, classées sans suite.
- Des destructions massives de biens publics pendant des mois, rarement poursuivies.
- Des règlements de comptes sous couvert de « justice communautaire » tolérés.
Dans ce contexte, l’acquittement d’Edwards apparaît presque comme une suite logique.
Et si les rôles avaient été inversés ?
C’est la question que tout le monde se pose en privé. Imaginons exactement la même scène, mais avec les couleurs inversées :
Un homme blanc multirécidiviste s’approche d’un homme noir assis sur un banc, couteau à la main. L’homme noir se lève et le repousse. Le blanc le poignarde en criant avoir été traité de « cracker » ou « white trash ». Le jury l’acquitterait-il en invoquant la peur d’une insulte raciale ?
La réponse semble évidente pour la majorité des observateurs : non. Et c’est précisément ce double standard qui indigne une grande partie de l’opinion publique américaine aujourd’hui.
Vers une justice à deux vitesses ?
Ce verdict s’inscrit dans une tendance plus large observée depuis plusieurs années aux États-Unis : la montée d’une justice émotionnelle, où le ressenti prime sur les faits, et où l’appartenance raciale semble parfois peser plus lourd que le comportement réel.
Les procureurs, eux, n’ont pas mâché leurs mots pendant le procès :
« Le prévenu n’a pas peur pour sa vie. Il ne s’est pas retiré, il s’est avancé — et il s’est éloigné après avoir poignardé quelqu’un. Il a créé la situation du début à la fin. »
Katherine Williams, procureure
Mais ces arguments factuels n’ont pas suffi face à l’argument émotionnel suprême : le traumatisme historique lié au « n-word ».
Conclusion : une société au bord du gouffre
Cette affaire dépasse largement le cas individuel de Gary Edwards et Gregory Howard. Elle révèle une fracture profonde dans la société américaine : celle entre ceux qui croient encore en une justice aveugle à la couleur de peau… et ceux qui estiment que l’histoire justifie des traitements différenciés.
Quand un mot, même le plus ignoble, peut effacer un coup de couteau, c’est toute la notion de proportionnalité qui s’effondre. Et quand un multirécidiviste repart libre parce que sa victime aurait (peut-être) tenu des propos racistes, c’est la confiance dans l’État de droit qui vacille.
Portland vient peut-être d’ouvrir une boîte de Pandore dont plus personne ne pourra refermer le couvercle.
Et vous, jusqu’où acceptez-vous que la peur d’une insulte justifie la violence physique ? La question mérite d’être posée. Urgemment.









