Imaginez vivre cachée dans votre propre pays, traquée par le pouvoir, avec un mandat d’arrêt prêt à tomber au moindre pas dehors. Et pourtant, dans quatre jours, vous devez traverser un continent entier pour monter sur la plus grande scène mondiale. C’est exactement le défi que s’apprête à relever Maria Corina Machado.
Un Nobel sous très haute tension
La nouvelle est tombée samedi soir : l’opposante vénézuélienne la plus populaire, celle que Nicolás Maduro redoute le plus, sera bien présente à Oslo le 10 décembre pour recevoir son prix Nobel de la paix. Le directeur de l’Institut Nobel, Kristian Berg Harpviken, l’a confirmé après un contact direct avec elle dans la nuit.
Ses mots sont prudents : « Étant donné la situation sécuritaire, nous ne pouvons pas en dire plus sur la date et la façon dont elle viendra ». Traduction : personne ne sait encore comment elle va sortir du Venezuela sans se faire arrêter immédiatement.
« Rien n’est sûr à 100 % dans le monde, mais c’est aussi sûr que ça peut l’être »
Kristian Berg Harpviken, à la radio norvégienne NRK
Pourquoi ce voyage est presque impossible
Depuis plusieurs mois, Maria Corina Machado vit dans la clandestinité. Les services de renseignement vénézuéliens la recherchent activement. En novembre, le procureur général a été très clair : si elle quitte le territoire pour aller chercher son Nobel, elle sera officiellement considérée comme fugitive.
Concrètement, cela signifie qu’à l’instant où elle passerait un contrôle migratoire, même dans un aéroport tiers, Caracas pourrait exiger son arrestation via Interpol ou par pression diplomatique. Le risque est maximal.
Et pourtant, elle a dit oui. Un oui ferme, sans hésitation.
Un prix décerné pour une lutte pacifique mais implacable
Le Comité Nobel norvégien a récompensé le 10 octobre dernier « son travail inlassable en faveur des droits démocratiques du peuple vénézuélien et son combat pour une transition juste et pacifique de la dictature vers la démocratie ».
À 58 ans, cette ingénieure industrielle devenue figure de l’opposition a réussi l’exploit de fédérer des millions de Vénézuéliens autour d’un message clair : le départ de Nicolás Maduro par les urnes et non par les armes.
En 2023, elle avait balayé la primaire de l’opposition avec plus de 92 % des voix. Un plébiscite qui a terrifié le pouvoir, au point de l’inscrire sur des motifs administratifs fantaisistes pour l’empêcher de se présenter à la présidentielle de juillet 2024.
Le contexte géopolitique explosif autour de la cérémonie
La remise du prix se déroule dans un climat particulièrement tendu. Ces dernières semaines, les États-Unis ont déployé un important dispositif militaire dans les Caraïbes et le Pacifique Est, officiellement pour lutter contre le narcotrafic.
Plus d’une vingtaine d’opérations ont été menées, causant la mort d’au moins 87 personnes. Washington n’a cependant fourni aucune preuve publique liant ces cibles au trafic de drogue. De nombreux experts internationaux contestent la légalité de ces frappes.
À Caracas, Nicolás Maduro y voit une tentative déguisée de renversement de régime et de saisie des immenses réserves pétrolières du pays. Il a multiplié les déclarations incendiaires ces derniers jours.
Le rôle ambigu de Donald Trump dans le dossier
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump alterne déclarations belliqueuses et appels au dialogue. Il a révélé la semaine dernière avoir eu une conversation téléphonique avec Nicolás Maduro, sans en dévoiler le contenu.
Dans le même temps, Maria Corina Machado n’a jamais caché son admiration pour certaines positions de Trump, notamment sur l’économie ou la fermeté face aux régimes autoritaires. Après l’annonce du Nobel, elle a publiquement dédié son prix au président américain, déclarant que son soutien était « crucial » pour une transition démocratique.
Trump, jamais à court de confiance, a lui-même affirmé qu’il méritait ce Nobel « plus que quiconque ». Une phrase qui a fait sourire jusqu’à Oslo.
Que va-t-il se passer le 10 décembre à Oslo ?
La cérémonie aura lieu dans la grande salle de l’Hôtel de Ville d’Oslo, décorée de fresques majestueuses, devant les membres de la famille royale norvégienne, des diplomates du monde entier et des centaines de journalistes.
Maria Corina Machado montera sur l’estrade pour recevoir la médaille d’or, le diplôme et le chèque de 11 millions de couronnes suédoises (environ 980 000 euros). Elle prononcera ensuite le traditionnel discours du lauréat.
Mais surtout, des millions de Vénézuéliens retiendront leur souffle devant leur écran, espérant voir leur leader en chair et en os, libre, sur la scène mondiale. Un moment symbolique d’une force rare.
Car pour beaucoup dans l’opposition, ce Nobel n’est pas seulement une récompense. C’est une protection. Une lumière braquée sur le régime qui rendrait une arrestation à son retour beaucoup plus coûteuse diplomatiquement.
Et après Oslo ?
La grande question reste entière : que fera-t-elle après la cérémonie ? Rentrer au Venezuela et risquer la prison ? Demander l’asile politique ? Rester en exil pour continuer la lutte depuis l’extérieur ?
Machado a toujours répété qu’elle ne quitterait pas son pays définitivement. Mais la réalité sécuritaire pourrait l’obliger à revoir ses plans.
Ce qui est certain, c’est que le 10 décembre 2025 entrera dans l’histoire comme le jour où une femme traquée a réussi l’impossible : transformer un prix en arme pacifique d’une puissance inégalée contre une dictature.
Et quelque part, dans l’ombre d’une maison sécurisée au Venezuela, une femme de 58 ans prépare probablement déjà le discours qui pourrait faire basculer l’avenir de tout un peuple.
À suivre, minute par minute.









