Imaginez l’homme qui a dirigé la France pendant cinq ans, celui que l’on voyait partout, costume impeccable et sourire conquérant, se retrouver soudain seul dans une cellule où le gris recouvre absolument tout. C’est exactement ce qu’a vécu Nicolas Sarkozy pendant trois semaines à l’automne 2025. À quelques jours de la sortie de son livre Le journal d’un prisonnier, l’ancien président livre des extraits d’une rare intensité sur cette période qu’il qualifie lui-même d’« injustice ».
Le choc du gris
Dès les premières lignes publiées, une image frappe : l’absence totale de couleur. « Je fus frappé par l’absence de toute couleur. Le gris dominait tout, dévorait tout, recouvrait toutes les surfaces », écrit-il. Murs, sol, plafond, vêtements… tout semble conçu pour effacer l’identité et la joie de vivre. Ce gris devient presque un personnage à part entière, oppressant, omniprésent.
Pour celui qui a connu l’Élysée, les sommets du G8 et les tapis rouges mondiaux, la chute est brutale. Enfermé 23 heures sur 24 dans sa cellule, protégé malgré tout par deux officiers de sécurité, il mesure chaque seconde l’écart entre sa vie d’avant et ce présent glacial.
Premier jour : l’évidence de la prière
Le 25 septembre 2025, à 70 ans, Nicolas Sarkozy franchit pour la première fois la porte de la prison de la Santé avec un mandat de dépôt immédiat. Cinq ans de prison prononcés en première instance pour association de malfaiteurs dans l’affaire du prétendu financement libyen de sa campagne de 2007. L’appel est suspensif, mais l’incarcération, elle, immédiate.
« C’est venu comme une évidence. Je me suis agenouillé pour prier. Je suis resté ainsi de longues minutes. Je priais pour avoir la force de porter la croix de cette injustice. »
Cette scène, racontée avec une simplicité désarmante, surprend autant qu’elle émeut. L’homme politique hyperactif, souvent perçu comme dur et combatif, se retrouve à genoux, seul face à lui-même et à sa foi. Les dimanches, il reçoit la visite de l’aumônier. Ces moments deviennent des respirations dans un quotidien étouffant.
Une vie rythmée par les laitages et les barres de céréales
La nourriture, sujet anodin pour la plupart d’entre nous, devient un repère dans l’univers carcéral. Sarkozy décrit avec précision ce qu’on lui était servi :
- Laitages
- Barres de céréales
- Eau minérale
- Jus de pomme
- Quelques douceurs sucrées
Rien de plus. Pas de cantine chaude, pas de plateau-repas élaboré. Juste ces produits emballés qui arrivent dans la cellule. Il avoue avoir rêvé de pouvoir simplement regarder par la fenêtre, observer les voitures passer dans la rue. Un luxe refusé.
Écrire pour ne pas sombrer
Très vite, il demande papier et stylo-bille. Sur une petite table en contreplaqué brinquebalante, il commence à écrire. Chaque jour, il remplit des feuillets qu’il confie à ses avocats. Ceux-ci les transmettent à sa secrétaire pour mise au propre. L’exercice devient salvateur.
« Il fallait que je réponde à cette simple question : mais comment en suis-je arrivé là ? », explique-t-il. Le livre naît ainsi, presque en apnée, pendant la détention, puis s’achève en quelques jours après sa libération sous contrôle judiciaire.
Ce n’est pas seulement un journal intime. C’est aussi un règlement de comptes feutré avec certains acteurs de la vie politique actuelle. Il évoque notamment le silence – ou le regard détourné – d’Emmanuel Macron face à sa condamnation et à son incarcération.
Un numéro d’écrou : 320535
Derrière les barreaux, Nicolas Sarkozy n’est plus « l’ancien président ». Il devient le matricule 320535. Ce numéro, froid et anonyme, résume à lui seul la violence symbolique de la détention pour un homme qui a occupé les plus hautes fonctions.
Même protégé, même dans une cellule individuelle, même avec des conditions légèrement améliorées par rapport aux autres détenus, l’expérience reste profondément humiliante. Il mesure chaque jour le poids de l’enfermement, la privation de liberté élémentaire.
Un appel qui change tout… ou presque
L’appel formé immédiatement suspend l’exécution de la peine, mais pas avant trois longues semaines passées derrière les barreaux. Le nouveau procès en appel se tiendra du 16 mars au 3 juin 2026 devant la cour d’appel de Paris. D’ici là, Nicolas Sarkozy est libre, mais toujours condamné en première instance.
Cette période intermédiaire est étrange : l’homme est à la fois libre de ses mouvements et toujours sous le coup d’une peine de cinq ans. Le livre arrive donc à un moment charnière, presque comme un acte de résistance littéraire.
Pourquoi ce livre maintenant ?
Plusieurs raisons se croisent. D’abord, le besoin cathartique d’écrire pour comprendre. Ensuite, la volonté de livrer sa vérité avant que d’autres ne la déforment. Enfin, une forme de réponse à ceux qui, dans le monde politique, ont préféré regarder ailleurs.
Le choix de l’éditeur Fayard, appartenant au groupe de Vincent Bolloré, n’est pas anodin non plus. L’homme d’affaires conservateur offre une tribune importante à l’ancien président, dans un contexte médiatique où certaines voix se font plus rares pour le défendre.
Le livre sortira le 10 décembre 2025. Les extraits déjà publiés laissent présager un texte à la fois intime, rageur et profondément humain. On y retrouve l’énergie de l’homme politique, mais aussi une fragilité nouvelle, presque touchante.
Et après ?
L’histoire judiciaire de Nicolas Sarkozy est loin d’être terminée. Déjà condamné définitivement dans les affaires dites des écoutes et Bygmalion (avec bracelet électronique à la clé), il joue aujourd’hui une grande partie de sa réputation avec cet appel dans le dossier libyen.
Mais au-delà du verdict à venir, ce Journal d’un prisonnier marque peut-être un tournant. Celui où l’ancien chef de l’État accepte de montrer ses failles, ses doutes, sa spiritualité. Celui où il passe du registre de la conquête permanente à celui, plus apaisé, du témoignage.
Une chose est sûre : le 10 décembre, de nombreux Français – qu’ils l’aiment ou le détestent – ouvriront ce livre avec curiosité. Parce qu’il raconte non seulement l’histoire d’un homme politique, mais aussi celle d’une chute, d’une rédemption possible, et d’une question universelle : comment tenir quand tout semble s’effondrer autour de soi ?
À suivre, donc. Très attentivement.









