Imaginez une patrouille nocturne, phares allumés, roulant lentement sur une route déserte du Sud-Liban. Soudain, trois mobylettes surgissent de l’obscurité. Quelques secondes plus tard, trois coups de feu claquent dans la nuit. Les Casques bleus, cible directe, rentrent indemnes mais choqués. Cet incident, survenu jeudi soir près de Bint Jbeil, résume à lui seul la fragilité extrême du cessez-le-feu conclu il y a tout juste un an.
Un climat de tension permanente au Sud-Liban
Depuis la fin de la guerre éclair entre Israël et le Hezbollah en novembre 2024, le sud du pays vit sous une pression continue. Bombardements israéliens quasi quotidiens, survols de drones, incursions terrestres limitées… et maintenant des tirs directs contre les forces de l’ONU. Chaque semaine apporte son lot d’incidents qui font craindre une reprise des hostilités à grande échelle.
Jeudi soir, vers 21 heures, six individus circulant sur trois motocyclettes ont approché un convoi de la FINUL. L’un d’eux a ouvert le feu à trois reprises sur l’arrière du véhicule blindé. Par miracle, aucun blessé n’est à déplorer. Mais l’intention était claire : intimider, provoquer, peut-être tester les limites de la présence onusienne.
Réaction immédiate de l’armée libanaise
Dès le lendemain, les forces armées libanaises ont lancé une vaste opération. Bilan : six arrestations annoncées officiellement ce samedi. Les suspects sont soupçonnés d’appartenance ou de sympathie avec des groupes armés locaux. L’armée a été claire dans son communiqué : aucune attaque contre la FINUL ne sera tolérée.
« Le rôle essentiel de la FINUL dans le maintien de la stabilité au Sud-Liban est indiscutable. Toute atteinte à sa sécurité sera poursuivie avec la plus grande fermeté »
Cette fermeté affichée contraste avec les difficultés quotidiennes rencontrées par l’État libanais pour imposer son autorité dans une région où le Hezbollah conserve une influence prépondérante.
Un cessez-le-feu sous surveillance internationale
L’accord conclu sous médiation américaine en novembre 2024 prévoyait plusieurs points clés :
- Retrait total des forces israéliennes du territoire libanais
- Désarmement progressif des groupes armés au sud du Litani
- Renforcement du déploiement de l’armée libanaise
- Maintien de la FINUL comme force d’observation et de vérification
Un an plus tard, la réalité sur le terrain est bien différente. Israël maintient encore cinq positions stratégiques dans la zone frontalière. De son côté, le Hezbollah est accusé de reconstituer discrètement ses stocks d’armes et ses infrastructures militaires. Chaque camp pointe du doigt les violations de l’autre.
La FINUL, cible récurrente des tensions
Les Casques bleus paient un lourd tribut à cette situation ambiguë. Au cours des derniers mois, plusieurs incidents graves ont été rapportés :
- Tirs israéliens à proximité immédiate de positions onusiennes
- Obus tombant à quelques mètres de bases de la FINUL
- Survols à très basse altitude par des drones israéliens
- Et maintenant, des tirs directs par des acteurs non étatiques
La mission onusienne, présente depuis 1978, se retrouve plus que jamais au cœur d’un jeu dangereux où elle sert parfois de bouc émissaire ou de moyen de pression.
Premiers signes d’apaisement diplomatique
Mercredi dernier, un événement rare a eu lieu au quartier général de la FINUL à Naqoura. Pour la première fois depuis des décennies, des officiers libanais et israéliens se sont assis autour de la même table, sous l’égide de l’émissaire américaine Morgan Ortagus. Objectif : faire avancer le comité de surveillance du cessez-le-feu.
Le président libanais, le général Joseph Aoun, a qualifié cette rencontre de « positive ». Il a annoncé la tenue de nouvelles discussions à partir du 19 décembre. Pour lui, l’enjeu est clair : écarter définitivement le spectre d’une nouvelle guerre dévastatrice.
Les défis colossaux qui restent à relever
Au-delà de l’incident de jeudi, plusieurs questions cruciales demeurent sans réponse satisfaisante :
Le retrait israélien total sera-t-il un jour effectif ?
Les cinq positions maintenues sont présentées comme « temporaires » par Israël, qui les justifie par des impératifs de sécurité.
Le Hezbollah acceptera-t-il un désarmement réel au sud du Litani ?
Le mouvement chiite considère ses armes comme une garantie face à la menace israélienne.
L’État libanais aura-t-il les moyens de s’imposer face aux milices ?
L’armée régulière manque cruellement de ressources et de soutien politique unanime.
Chaque incident, chaque tir, chaque provocation ravive les braises d’un conflit qui n’a jamais vraiment été éteint. L’attaque contre les Casques bleus n’est qu’un symptôme parmi d’autres d’une paix encore très précaire.
Vers une sortie de crise durable ?
Les prochaines semaines seront décisives. Les discussions prévues à partir du 19 décembre pourraient déboucher sur des avancées concrètes : calendrier de retrait israélien, renforcement du déploiement libanais, mécanismes de contrôle plus efficaces. Ou bien elles pourraient s’enliser dans les habituelles accusations réciproques.
En attendant, les Casques bleus continuent leur mission dans un environnement hostile, les villageois du Sud vivent dans l’angoisse permanente des bombardements, et les deux camps se tiennent prêts à reprendre les armes au moindre prétexte.
L’arrestation rapide des six suspects est un signal positif envoyé par Beyrouth. Reste à savoir si ce geste suffira à calmer les tensions ou s’il ne fera que masquer, temporairement, une réalité beaucoup plus explosive.
Car dans cette région du monde, la paix ressemble souvent à une simple pause entre deux guerres. Et personne, ni à Beyrouth, ni à Tel Aviv, ni à New York au siège de l’ONU, n’a oublié les images de destruction massive de l’année dernière.
La route vers une stabilité durable au Sud-Liban est encore longue, semée d’embûches et de distrust réciproque. Mais chaque pas, même petit, chaque réunion, chaque arrestation qui montre que l’État libanais agit, compte. Espérons simplement qu’il ne soit pas déjà trop tard.









