Imaginez la scène : une salle comble à Orléans, l’odeur du métal chaud, le bruit sec des masques qui claquent, et soudain… silence. Le numéro 1 mondial, tenant du titre, favori logique, vient de s’incliner 14-15 sur une ultime touche. Jean-Philippe Patrice, 28 ans, vice-champion du monde en titre, est éliminé dès le premier tour du Grand Prix par son propre coéquipier en équipe de France, Benjamin Ducerf, 135e mondial. Le genre de résultat qui fait trembler tout un sport.
Un scénario que personne n’avait vu venir
Quand on parle de Jean-Philippe Patrice cette saison, on parle d’un homme au sommet. Leader incontesté du classement mondial, médaillé d’argent aux derniers championnats du monde, vainqueur ici même l’an passé. Tout laissait penser que le Marseillais allait tranquillement dérouler son sabre face à un adversaire passé par les qualifications la veille.
Et pourtant, dès les premières secondes, quelque chose cloche. 0-3 d’entrée. Le public retient son souffle. Patrice semble lourd, un peu en retard, comme s’il cherchait encore ses appuis. Ducerf, lui, est transcendé par l’enjeu et par le fait de jouer à domicile – il est licencié au club d’Orléans. Le jeune sabreur de 21 ans touche, encore et encore, avec une audace qu’on ne lui connaissait pas à ce niveau.
« J’ai senti dès l’échauffement que ce n’était pas mon jour, mais je ne pensais pas que ça irait jusqu’à la défaite », aurait confié Patrice dans le couloir après le match.
Une remontée héroïque… qui ne suffit pas
Car le champion n’abdique pas. Habitué des come-back spectaculaires, il recolle point par point. 5-8, puis 10-10 à la pause. Le public pousse, les « Allez JPP ! » fusent de partout. On retrouve alors le Patrice clinique, celui qui lit les actions trois temps à l’avance.
Mais Ducerf ne craque pas. Il répond touche pour touche, reste agressif, varie les attaques. 14-14. Dernière minute. Le stress est palpable jusque dans les tribunes presse. Et là, sur une attaque flèche mal contrôlée de Patrice, Ducerf place une parade-riposte fulgurante. 15-14. L’arbitre vidéo confirme. C’est terminé.
Le jeune Orléanais lève les bras, incrédule. Patrice, lui, reste figé quelques secondes, masque baissé, avant de venir serrer la main de son bourreau du jour. Standing ovation de tout le palais des sports. L’escrime française vient de vivre l’un de ses plus gros upset de la décennie.
Benjamin Ducerf, l’homme d’un jour ou le début de quelque chose ?
Passé par les poules et deux tours de qualification vendredi, Benjamin Ducerf n’était pas volé sa place dans le tableau principal. Six victoires en poules, puis deux matches d’élimination directe gagnés haut la main. Mais personne ne l’imaginait capable de renverser le patron.
À 21 ans, il dispute seulement sa troisième saison senior à haut niveau. Son meilleur résultat jusqu’ici ? Une 33e place à Budapest l’an dernier. Aujourd’hui, il se retrouve propulsé en 1/16e de finale avec, cerise sur le gâteau, un duel de légende face au Hongrois Áron Szilágyi, triple champion olympique en titre. Autant dire que la journée risque d’être encore longue en émotions pour le jeune Français.
Le parcours de Ducerf avant le gros coup :
- 6 victoires en poules vendredi
- Deux matches éliminatoires gagnés 15-11 et 15-9
- Entrée dans le tableau principal comme lucky loser
- Exploit face au n°1 mondial : 15-14
Les autres Français passent sans trembler
Si Patrice a chuté, le reste de l’armada tricolore a répondu présent. Sébastien Patrice (frère de Jean-Philippe, 4e mondial) a expédié son adversaire 15-7. Rémi Garrigue (7e) et Maxime Pianfetti (20e) ont également validé leur ticket pour les 1/16e sans frayeur.
Du côté féminin, la championne olympique Manon Apithy et la vice-championne olympique Sara Balzer ont dominé leurs premiers tours. L’équipe de France reste donc très bien représentée, même si le choc du jour restera évidemment cette élimination prématurée du leader.
Que s’est-il vraiment passé dans la tête de Jean-Philippe Patrice ?
Plusieurs éléments peuvent expliquer cette contre-performance. D’abord, une préparation perturbée. Le Marseillais avait lui-même évoqué ces dernières semaines des problèmes récurrents avec ses appuis bas, conséquence d’une petite blessure à la cheville contractée à l’entraînement trois semaines plus tôt. Rien de grave, mais assez pour perturber sa explosivité légendaire.
Ensuite, la pression. Être numéro 1 mondial, c’est aussi porter un costume parfois trop lourd. Chaque adversaire joue sa finale contre vous. Ducerf n’avait rien à perdre, Patrice tout à prouver. Et en escrime, surtout au sabre où tout va très vite, une seconde d’hésitation suffit.
Enfin, le facteur mental. Après une saison 2024-2025 exceptionnelle, certains observateurs parlent déjà d’un léger relâchement, voire d’une fatigue accumulée. Restera à voir comment le champion va rebondir dès la prochaine épreuve, à Budapest dans quinze jours.
L’escrime française, plus que jamais imprévisible
Ce qui rend ce sport magnifique, c’est justement cette capacité à produire des scénarios fous. Hier encore, on pensait l’équipe de France masculine emmenée par un Patrice intouchable. Aujourd’hui, on se dit que tout est possible. Que Ducerf peut créer un deuxième exploit face à Szilagyi. Que Sébastien Patrice ou Rémi Garrigue peuvent aller au bout.
Car au-delà de la déception, ce genre de journée rappelle pourquoi on aime l’escrime : un sport où le classement ne fait pas tout, où le cœur et l’audace peuvent renverser des montagnes. Rendez-vous demain pour la suite du tableau. Une chose est sûre : après ce samedi noir pour Jean-Philippe Patrice, plus personne ne prendra aucun match pour acquis à Orléans.
Et vous, pensiez-vous possible une telle surprise ? Le début d’une passation de pouvoir chez les sabreurs français ou simplement un accident de parcours ? Les commentaires sont ouverts.









