Il est six heures du matin, l’heure où la nuit commence à pâlir mais où la fête, elle, n’est pas encore tout à fait terminée. Dans la zone industrielle Sud-Est de Rennes, les basses du Mango résonnent encore faiblement derrière les murs épais de la discothèque. Et puis, soudain, le silence se brise. Un cri, des éclats de voix, le bruit métallique d’une lame qui sort de son fourreau. En quelques secondes, une simple dispute se transforme en cauchemar.
Une sortie de boîte qui vire au bain de sang
Ce samedi 6 décembre 2025, vers 6 heures, quatre hommes se retrouvent sur le parking du Mango, une boîte de nuit bien connue des amateurs de musiques africaines et caribéennes à Rennes. Ce qui aurait pu n’être qu’une altercation verbale, comme il en arrive des dizaines chaque week-end, dégénère brutalement. Trois d’entre eux se retournent contre le quatrième et sortent une machette.
La victime, âgée de 29 ans, reçoit un coup violent au cou. Le sang gicle immédiatement. Les témoins, encore sonnés par la musique et l’alcool, mettent quelques secondes à réaliser l’horreur de la scène. Quand les secours arrivent, l’homme est conscient mais gravement touché. Direction le CHU de Rennes en urgence.
Les trois agresseurs, eux, ont déjà filé dans la nuit. Aucun n’a été interpellé à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Le Mango, un lieu festif devenu théâtre d’une violence extrême
Le Mango n’est pas n’importe quelle discothèque. Implantée depuis des années dans la zone industrielle Sud-Est, elle attire une clientèle majoritairement afro et antillaise. Les soirées y sont réputées chaudes, les ambiances électriques. Mais cette réputation de fête cache parfois une réalité plus sombre.
Ce n’est pas la première fois que des incidents graves sont signalés aux abords de l’établissement. Bagarres, règlements de comptes, présence d’armes blanches : les riverains et les habitués le savent, la sortie peut parfois tourner au vinaigre. Pourtant, beaucoup refusent de voir leur lieu de fête stigmatisé.
« On vient ici pour danser, pour oublier les galères de la semaine. La plupart du temps, tout se passe bien. Mais il suffit d’un rien… une bousculade, un regard de travers… »
Un habitué, sous couvert d’anonymat
Une machette en pleine ville : symptôme d’une violence qui s’arme
Ce qui choque particulièrement dans cette affaire, c’est l’arme utilisée. Une machette. Pas un couteau de poche, pas une simple lame, mais une arme longue, lourde, conçue pour trancher net. Comment un tel outil a-t-il pu se retrouver entre les mains de fêtards à la sortie d’une boîte de nuit ?
Ces dernières années, les forces de l’ordre constatent une recrudescence inquiétante de ce type d’armes dans les conflits de rue. Plus discrètes qu’une arme à feu, plus impressionnantes qu’un simple couteau, les machettes sont devenues l’arme fétiche de certains jeunes en quête de respect ou de vengeance.
À Rennes comme dans d’autres grandes villes françaises, les saisies se multiplient. Dans les coffres de voiture, sous les sièges, parfois même portées à la ceinture sous un long manteau. L’image est glaçante : la rue se réarme, et pas avec n’importe quoi.
La zone industrielle Sud-Est, un secteur à part
Il faut se rendre sur place pour comprendre. La zone industrielle Sud-Est, c’est un no man’s land la nuit. Des entrepôts, des parkings immenses, peu d’éclairage public, des caméras de vidéosurveillance souvent absentes ou hors service. Le Mango, avec ses murs noirs et son enseigne lumineuse, semble flotter seul au milieu de ce désert de bitume.
Pour les fêtards, c’est le bout du monde. Les taxis refusent souvent de s’y aventurer après 4 heures du matin. Les bus ne passent plus. Il faut avoir sa propre voiture ou compter sur la solidarité des autres. Cette isolement géographique joue un rôle dans l’impunité de certains actes.
Quand une bagarre éclate, les agresseurs savent qu’ils ont le temps de disparaître avant que quiconque n’intervienne. Les minutes perdues à appeler police-secours, le temps que les patrouilles arrivent depuis le centre-ville… tout cela laisse une marge confortable pour prendre la fuite.
Que sait-on de la victime et des agresseurs ?
À ce stade, très peu d’éléments ont filtré. La victime est un homme de 29 ans. On ignore s’il était connu des services de police, s’il fréquentait régulièrement le Mango, ou quel était le mobile exact de l’agression. S’agit-il d’un différend personnel ? D’un règlement de comptes plus ancien ? D’une simple altercation qui a mal tourné ?
Les enquêteurs travaillent actuellement sur les images de vidéosurveillance – celles qui fonctionnent – et recueillent les témoignages. Mais la nuit, l’alcool, la musique assourdissante et la peur font souvent mauvais ménage avec la mémoire précise.
Rennes, ville tranquille ? Le mythe prend l’eau
On présente souvent Rennes comme une ville étudiante paisible, dynamique culturellement, où il fait bon vivre. Et c’est vrai, dans une large mesure. Mais cette image lisse cache une réalité plus contrastée, surtout la nuit.
Ces dernières années, les faits divers violents se sont multipliés. Coups de couteau en centre-ville, agressions au cutter dans le métro, fusillades liées au trafic de stupéfiants dans certains quartiers… La capitale bretonne n’échappe pas à la montée générale de l’insécurité que connaît le pays.
Et quand une machette entre en scène à la sortie d’une boîte de nuit, le message est clair : la violence n’est plus cantonnée aux quartiers dits sensibles. Elle touche désormais les lieux de fête, les endroits où l’on vient justement pour oublier les tensions du quotidien.
Les discothèques face à leurs responsabilités
La question de la sécurité aux abords des établissements de nuit revient inlassablement. Fouilles à l’entrée plus systématiques ? Présence de vigiles en plus grand nombre à la sortie ? Coordination renforcée avec la police ? Les solutions existent, mais elles ont un coût.
Beaucoup de gérants se retranchent derrière l’argument suivant : « Ce qui se passe dehors ne nous concerne pas. » Pourtant, quand une discothèque concentre des centaines, parfois des milliers de personnes en un même lieu, souvent alcoolisées, avec des rivalités qui peuvent couver depuis longtemps, elle devient mécaniquement un point chaud.
Le drame du Mango repose la question cruellement : jusqu’où les établissements de nuit sont-ils responsables de ce qui se passe sur leur parking ?
Et maintenant ?
L’enquête est en cours. Les policiers ratissent large : réseaux sociaux, téléphonie, témoignages. Avec un peu de chance, les auteurs seront rapidement identifiés. Mais au-delà de cette affaire précise, c’est tout un système qu’il faudrait repenser.
Comment expliquer que des armes aussi dangereuses circulent aussi facilement ? Comment faire pour que la sortie de boîte redevienne un moment de joie sans arrière-pensée ? Comment redonner aux fêtards le sentiment qu’ils peuvent s’amuser en toute sécurité ?
Autant de questions qui, ce matin, restent en suspens au-dessus du parking du Mango, encore taché de sang.
À lire aussi dans les prochains jours : notre enquête sur l’évolution de la violence nocturne à Rennes ces cinq dernières années, avec témoignages exclusifs de videurs, de policiers et de victimes.
En attendant, une pensée pour cet homme de 29 ans qui luttait encore pour sa vie ce matin à l’hôpital. Et pour tous ceux qui, ce week-end, hésiteront peut-être une seconde de plus avant de sortir faire la fête.
Parce que la nuit rennaise, autrefois insouciante, commence à ressembler à bien d’autres nuits françaises : belle, vibrante, mais parfois mortelle.









