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Agressions dans les Transports : Les Femmes Toujours sur le Qui-Vive

86 % d’agressions sexuelles en plus en dix ans dans les transports. Léa attend seule son RER à 22 h 30, téléphone prêt à appeler les secours. Comme elle, des milliers de femmes restent en hyper-vigilance permanente. Mais jusqu’à quand cette peur va-t-elle dicter leurs trajets ?

Il est 22 h 30. Le quai du RER A à Nanterre-Préfecture est quasiment désert. Une jeune femme emmitouflée dans son manteau attend, le regard aux aguets. Son téléphone, chargé à bloc, est prêt dans sa poche avec le 3117 en appel rapide. Elle n’est pas paranoïaque. Elle est simplement une femme qui rentre chez elle.

Cette scène, des milliers de Franciliennes la vivent chaque soir. Et elles ne sont pas seules à ressentir cette tension permanente.

Une explosion alarmante des violences sexuelles

Le chiffre glace le sang : +86 % de violences sexuelles dans les transports en commun en seulement dix ans. L’année dernière, plus de 3 370 victimes ont été officiellement recensées, soit 6 % de plus qu’en 2023. Et derrière ces statistiques se cachent presque exclusivement des femmes : neuf sur dix. Parmi elles, 85 % avaient moins de 25 ans au moment des faits.

Ces chiffres ne sont pas que des nombres. Ils traduisent une réalité brutale qui empoisonne le quotidien de millions de femmes dès qu’elles mettent un pied dans un métro, un bus ou un RER.

« Il faut toujours faire attention quand on est une femme »

Mariame, 28 ans, résume en une phrase ce que beaucoup pensent tout bas. Cette vigilance n’est pas un choix. C’est une seconde nature imposée par la peur.

« Même quand il ne se passe rien, on reste tendue. On calcule tout : où on s’assoit, qui est à côté, comment on est habillée… »

Yseult, 21 ans

À chacune sa stratégie de survie :

  • Scanner la rame dès l’entrée pour repérer les places « sûres »
  • Se mettre près des familles ou des groupes de femmes
  • Éviter les wagons vides en fin de soirée
  • Mettre un vêtement ample par-dessus une jupe ou une robe
  • Lancer des regards noirs dissuasifs
  • Garder le casque sur les oreilles mais sans musique pour rester alerte

Certaines ont même créé des raccourcis d’urgence sur leur téléphone ou marchent avec les clés entre les doigts, prêtes à se défendre.

Les heures de pointe, paradis des frotteurs

Paradoxalement, c’est quand il y a le plus de monde que certaines agressions sont les plus fréquentes. La foule compacte des heures de pointe offre l’anonymat parfait aux frotteurs. Collée-serrée, impossible parfois de savoir qui vous touche. Et quand on se retourne, l’auteur a déjà disparu dans la masse.

Shana, 33 ans, se souvient encore de ce trajet où elle a senti une main insistante. Elle s’est mise à crier. Autour d’elle, les regards se sont baissés. Personne n’a bougé. « C’est ça le pire, confie-t-elle, on se sent tellement seule. »

Les quais déserts, autre cauchemar

À l’opposé, les quais vides la nuit transforment l’attente en véritable épreuve. Léa, 31 ans, explique qu’elle change parfois de quai ou de ligne rien que pour éviter certaines stations qu’elle juge trop isolées. « Je préfère faire un détour de vingt minutes que rester seule cinq minutes dans un endroit mal éclairé. »

Cette peur a un nom : le renoncement. Beaucoup de femmes modifient leurs horaires, évitent les derniers métros, renoncent à sortir tard ou préfèrent payer un VTC plutôt que de risquer le transport en commun après 22 heures.

Un sentiment d’impunité qui perdure

Pourquoi cette hausse continue malgré les campagnes et les numéros d’urgence ? Beaucoup pointent un sentiment d’impunité. Les agresseurs savent que les victimes portent rarement plainte – par peur, par honte, ou parce qu’elles pensent que « ça ne servira à rien ».

Quand une plainte est déposée, les suites sont souvent décevantes. Manque de preuves, difficulté d’identification dans la foule, classement sans suite… Le cercle vicieux est bouclé.

Les réponses institutionnelles : entre bonnes intentions et réalité

Les pouvoirs publics ne restent pas inactifs. Patrouilles renforcées, caméras de vidéosurveillance, campagnes de sensibilisation, formation des agents… Des mesures existent. Mais sur le terrain, beaucoup de femmes estiment que cela ne change rien à leur quotidien.

Le numéro 3117, pourtant bien connu, est peu utilisé. « Appeler, c’est bien, mais quand tu es dans le métro bondé et qu’un type te colle, tu fais comment pour expliquer où tu es exactement ? » interroge Sélima, 24 ans.

L’impact psychologique à long terme

Au-delà de l’agression elle-même, c’est tout un mode de vie qui est affecté. Cette hyper-vigilance permanente use. Certaines développent une véritable anxiété à l’idée de prendre les transports. D’autres finissent par déménager plus près de leur travail pour éviter les trajets longs.

Et quand on cumule les micro-agressions – regards insistants, remarques, sifflements, frottements « accidentels » – le poids devient insupportable. « On finit par se dire que c’est normal, alors que ça ne devrait jamais l’être », souffle Mariame.

Et demain ?

Tant que les chiffres continueront de grimper, la question demeurera : jusqu’à quand les femmes devront-elles adapter leur vie entière pour simplement rentrer chez elles en sécurité ?

La réponse ne pourra pas être uniquement technique ou répressive. Elle passera aussi par un changement profond des mentalités. Car au fond, le problème n’est pas dans le métro ou le RER. Il est dans une partie de la société qui considère encore que l’espace public appartient d’abord aux hommes.

En attendant, chaque soir, des milliers de femmes continueront de scruter les quais, de serrer leur téléphone, de calculer leurs trajets. Non pas parce qu’elles sont paranoïaques. Mais parce qu’elles n’ont simplement pas le choix.

Et ça, c’est peut-être le plus révoltant.

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