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Langue Française : Les Étrangers Face à des Exigences Plus Strictes

« C’est compliqué le français », souffle Sambu en tentant de former le pluriel de « un homme heureux ». À partir de janvier, des milliers d’étrangers installés en France depuis des années risquent de perdre leur titre de séjour si ils n’obtiennent pas un niveau de langue plus élevé. Mais avec quels moyens ? Les associations dénoncent une machine à créer des sans-papiers…

Imaginez-vous installé en France depuis cinq ans, travaillant dur chaque jour dans un restaurant parisien, comprenant les ordres de vos collègues, mais butant encore sur l’accord des adjectifs. Et soudain, on vous annonce que pour conserver votre droit à rester, il faudra réussir un examen de français bien plus exigeant qu’avant. C’est la réalité qui attend des dizaines de milliers d’étrangers à partir du 1er janvier.

Un durcissement inédit des règles linguistiques

Les nouveaux décrets issus de la récente loi immigration changent profondément la donne pour les personnes étrangères déjà en situation régulière. Désormais, obtenir ou renouveler une carte de séjour pluriannuelle (de deux à quatre ans) nécessitera non seulement d’avoir suivi des cours, mais surtout d’avoir validé un examen officiel de français.

Jusqu’à présent, une simple attestation de participation suffisait pour ce type de titre. Seules les cartes de résident de dix ans et la naturalisation imposaient déjà une épreuve réelle. Ce qui était une exception devient la norme, et le niveau requis augmente sensiblement pour tous.

Le seuil passe ainsi d’un niveau intermédiaire à un niveau plus élevé pour les titres pluriannuels, et jusqu’à avancé pour la naturalisation. À cela s’ajoute une mauvaise surprise : l’État ne prendra plus en charge le coût de l’examen, qui oscille entre 100 et 200 euros selon les centres.

Des élèves motivés mais inquiets face à la complexité

Dans une petite salle associative, une dizaine d’adultes venus du monde entier se concentrent sur les explications d’un professeur bénévole. Une Brésilienne note scrupuleusement les règles, un Turc répète à voix basse, un Bangladais fronce les sourcils devant « un plat régional » au pluriel.

Sambu, 35 ans, originaire de Somalie, résume le sentiment général : la langue française est pleine de pièges. Employé sans titre régulier dans une grande chaîne de restauration rapide, il sait que son avenir en France dépend désormais de sa capacité à maîtriser ces subtilités grammaticales.

La plupart de ces apprenants travaillent déjà depuis plusieurs années sur le sol français. Ils comprennent les conversations quotidiennes, commandent un café ou discutent avec leurs collègues. Mais écrire correctement, structurer une phrase complexe ou réussir un examen formel représente un défi bien plus ardu.

« Le niveau va être élevé, il va y avoir une énorme sélection »

Olivier Pacaud, professeur bénévole et ancien cadre bancaire

Ce retraité consacre désormais ses journées à redonner confiance à ses élèves. Il passe des heures à dédramatiser les erreurs, à encourager, conscient que l’enjeu dépasse largement la simple réussite scolaire.

Des moyens d’apprentissage revus à la baisse

L’Office français de l’immigration et de l’intégration propose toujours des cours gratuits, mais uniquement sous conditions très restrictives. Seuls les grands débutants, incapables de lire ou écrire, bénéficient encore de 600 heures en présentiel.

Pour tous les autres – c’est-à-dire la grande majorité – la solution retenue est une plateforme numérique lancée cet été. L’argument officiel : plus de souplesse pour les personnes qui travaillent et ne peuvent se déplacer facilement.

Mais cette dématérialisation fait bondir les associations qui accompagnent les migrants au quotidien. Elles dénoncent une décision essentiellement budgétaire qui complique encore l’accès à la formation.

« On augmente le niveau requis et on baisse en même temps les moyens pour l’atteindre »

Marianne Bel, responsable apprentissage des langues à la Cimade

Beaucoup d’apprenants ne possèdent pas d’ordinateur performant. Ils tentent d’étudier sur leur téléphone, souvent avec une connexion instable, dans des logements exigus ou bruyants. Les conditions sont rarement réunies pour un apprentissage serein et efficace.

Le risque d’une précarisation massive

Les associations vont plus loin : elles voient dans ces mesures une véritable « machine à fabriquer des sans-papiers ». Des personnes installées légalement depuis des années pourraient se retrouver du jour au lendemain sans titre de séjour valide, simplement parce qu’elles n’auront pas réussi l’examen dans les temps.

Cette situation inquiète particulièrement le Secours catholique et d’autres organismes. Des travailleurs qui contribuent déjà à l’économie française risquent de basculer dans la clandestinité, perdant droits sociaux et stabilité.

En 2023, près de 58 000 personnes étaient inscrites aux formations linguistiques officielles. Parmi elles, les bénéficiaires de protection internationale ne sont pas concernés par les nouveaux tests, mais la grande majorité des travailleurs étrangers le sera.

La maîtrise du français, clé de l’insertion selon l’État

Du côté de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, on défend ces exigences. Maîtriser la langue reste présenté comme un élément primordial pour accéder à l’emploi, gagner en autonomie et s’insérer durablement dans la société.

Le directeur général invite même les entreprises à prendre le relais. Elles peuvent former leurs salariés étrangers sur le temps de travail, dans la limite de 80 heures par an. Mais aucune obligation légale n’existe, et ce quota apparaît dérisoire aux yeux des associations.

Dans les petites et moyennes entreprises, surtout celles qui emploient beaucoup de main-d’œuvre étrangère (restauration, bâtiment, nettoyage), il semble peu réaliste d’espérer une mobilisation massive pour financer et organiser ces formations.

Un défi humain avant tout

Au-delà des chiffres et des décrets, ce sont des parcours individuels qui se jouent. Des hommes et des femmes qui ont tout laissé derrière eux pour construire une nouvelle vie en France. Ils travaillent, paient des impôts, élèvent parfois leurs enfants ici.

Leur demander un effort supplémentaire pour apprendre la langue semble légitime aux yeux de beaucoup. Mais imposer un niveau plus élevé tout en réduisant les moyens d’y parvenir crée une équation difficilement soluble pour les plus vulnérables.

Les bénévoles, eux, continuent leur travail de fourmi. Ils corrigent les cahiers, expliquent inlassablement les exceptions, encouragent quand la fatigue ou le découragement pointe. Car derrière chaque règle de grammaire se cache une histoire, un projet de vie, un espoir de stabilité.

Janvier approche. Dans les salles de cours associatives, l’atmosphère est studieuse mais lourde d’incertitude. Chacun sait que les prochains mois seront décisifs. Réussir l’examen ou risquer de tout perdre : telle est l’alternative brutale qui se présente à des milliers de résidents étrangers.

La question dépasse la simple politique linguistique. Elle touche à la conception même de l’intégration et à la façon dont la France accueille ceux qui choisissent de contribuer à son avenir. Entre exigence républicaine et accompagnement réel, le juste équilibre reste à trouver.

En résumé :

  • Nouveau passage obligatoire par un examen de français pour les cartes pluriannuelles
  • Niveau requis relevé et coût de l’examen à la charge des candidats
  • Cours en présentiel réservés aux grands débutants uniquement
  • Plateforme numérique pour les autres, malgré les difficultés d’accès
  • Risque important de précarisation pour les travailleurs étrangers installés

Cette réforme illustre les tensions actuelles autour de l’immigration en France. Si l’apprentissage de la langue reste un pilier de l’intégration, les modalités choisies interrogent sur leur efficacité et leur équité. Les prochains mois diront si ces mesures renforcent réellement l’insertion… ou créent de nouvelles fragilités.

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