Imaginez une femme enceinte qui traverse la frontière dans l’espoir que son enfant naisse citoyen américain. Pendant plus de 150 ans, ce rêve était garanti par la Constitution. Aujourd’hui, un simple décret présidentiel menace de tout remettre en cause. La Cour suprême vient d’accepter de se prononcer sur cette mesure explosive signée par Donald Trump dès son retour à la Maison Blanche.
Un décret qui bouleverse des siècles de pratique
Le texte est clair et sans appel. Il interdit au gouvernement fédéral de délivrer passeport, certificat de citoyenneté ou tout document officiel à un enfant né sur le sol américain si sa mère séjourne illégalement ou temporairement aux États-Unis, et si le père n’est ni citoyen ni résident permanent. En d’autres termes, fini la citoyenneté automatique pour des millions de naissances potentielles.
Ce principe du droit du sol (jus soli en latin) est inscrit noir sur blanc dans le 14e amendement de la Constitution, ratifié en 1868 après la guerre de Sécession. Son objectif était alors de garantir la citoyenneté aux anciens esclaves et à leurs descendants. Depuis, il s’applique à tous sans distinction.
« Tous les individus nés ou naturalisés aux États-Unis, et soumis à leur juridiction, sont citoyens des États-Unis et de l’État dans lequel ils résident. »
14e amendement, section 1
Pourquoi Trump veut-il y toucher maintenant ?
L’administration républicaine brandit un argument simple : l’actuelle interprétation créerait une incitation massive à l’immigration illégale. Des femmes enceintes franchiraient la frontière uniquement pour que leur bébé obtienne la nationalité américaine et, plus tard, puisse faire venir le reste de la famille. Ce phénomène est souvent appelé « tourisme de maternité » ou « anchor babies » dans le débat public américain.
Le décret vise également les parents présents légalement mais temporairement : étudiants internationaux, touristes, travailleurs sous visa H-1B ou même diplomates. Un seul parent doit être citoyen ou titulaire de la carte verte pour que l’enfant conserve la citoyenneté automatique.
Un parcours judiciaire déjà chaotique
Dès la signature le 20 janvier, des dizaines d’États et d’associations ont saisi la justice. Résultat : toutes les cours fédérales de première instance et d’appel ont suspendu l’application du décret, le jugeant manifestement inconstitutionnel. L’administration a alors porté l’affaire devant la Cour suprême.
En juin dernier, la même Cour avait déjà limité le pouvoir des juges de bloquer nationalement les décisions présidentielles. Elle n’avait toutefois pas tranché le fond. Cette fois, elle accepte de le faire. La date des plaidoiries n’est pas encore fixée, mais la décision devrait tomber avant la fin de la session, fin juin 2026.
La composition actuelle de la Cour : un atout pour Trump ?
Avec six juges conservateurs sur neuf (dont trois nommés par Trump lui-même), nombreux sont ceux qui voient dans cette saisine une opportunité historique de réinterpréter le 14e amendement. Les juges Thomas et Alito ont déjà exprimé par le passé des doutes sur l’étendue actuelle du droit du sol.
Pourtant, même certains constitutionnalistes conservateurs estiment que modifier une pratique aussi ancienne nécessiterait un amendement constitutionnel, pas un simple décret présidentiel.
Les réactions ne se sont pas fait attendre
L’ACLU, organisation historique de défense des droits civiques, a immédiatement réagi.
« Nous sommes prêts à mener ce combat jusqu’à la Cour suprême et à faire annuler cette décision nocive une bonne fois pour toutes. »
Cecillia Wang, directrice juridique de l’ACLU
Du côté des associations hispaniques et asiatiques, c’est la stupeur. Des manifestations ont déjà eu lieu à Los Angeles, Miami et New York. Les hôpitaux redoutent aussi un afflux de naissances non déclarées si les parents craignent de perdre la citoyenneté de leur enfant.
Que se passerait-il en cas de validation du décret ?
Des centaines de milliers d’enfants nés chaque année aux États-Unis se retrouveraient apatrides ou avec la seule nationalité de leurs parents. Les conséquences seraient immenses :
- Impossibilité d’obtenir un numéro de sécurité sociale américain
- Refus de passeport américain
- Risque d’expulsion avec les parents à leur majorité
- Accès limité à l’éducation publique et aux aides sociales
- Statut juridique incertain toute leur vie
Certains États comme la Californie ou New York ont déjà annoncé qu’ils délivreront leurs propres certificats de naissance avec mention de citoyenneté, quitte à créer un conflit juridique explosif.
Un précédent mondial très rare
Sur les 195 pays reconnus par l’ONU, seuls une trentaine pratiquent encore le droit du sol sans condition. Le Canada et le Brésil notamment. La plupart des pays européens l’ont abandonné ou fortement restreint au cours des trente dernières années. Les États-Unis faisaient figure d’exception historique. Cette affaire pourrait marquer la fin de cette singularité.
Quelle que soit l’issue, ce jugement entrera dans les manuels. Il redéfinira l’idée même de ce que signifie naître américain. Et il aura des répercussions bien au-delà des frontières, dans tous les pays confrontés à l’immigration.
Une chose est sûre : rarement un texte de quelques lignes aura suscité autant de passions et de craintes. Le compte à rebours est lancé jusqu’à l’été prochain. D’ici là, des millions de futurs parents retiendront leur souffle.
Résumé des points clés
• Décret signé le 20 janvier 2025
• Refus de citoyenneté si mère en situation irrégulière ou temporaire + père non résident permanent
• Tous les tribunaux inférieurs ont suspendu le décret
• Cour suprême (6 conservateurs / 3 progressistes) accepte de trancher
• Décision attendue avant fin juin 2026
L’Amérique est à un tournant. Le droit du sol, pilier constitutionnel depuis 1868, vacille. Reste à savoir si la plus haute juridiction du pays osera franchir le pas que même les Républicains les plus radicaux n’avaient jamais osé tenter jusqu’ici.









