Et si l’un des groupes armés les plus craints d’Amérique latine posait enfin les armes ? Vendredi, dans l’opulence discrète d’un palais qatari, la Colombie a franchi un cap que beaucoup jugeaient impossible : un accord officiel avec le Clan del Golfo, cette organisation de plus de 7 500 combattants qui contrôle une large partie du trafic de cocaïne mondial.
Ce n’est pas encore la paix définitive, mais un engagement clair à poursuivre les négociations jusqu’au désarmement. Un espoir fragile, mais réel, au cœur d’un pays épuisé par plus de soixante ans de violence.
Un Accord Inattendu Sous les Ors du Qatar
Le choix du Qatar comme terre d’accueil n’a rien d’anodin. Doha, habitué à recevoir talibans afghans ou négociateurs vénézuéliens, s’impose peu à peu comme le nouveau Genève des conflits oubliés. Accompagné par la Norvège, la Suisse et l’Espagne, l’émirat a réussi là où d’autres avaient échoué : faire asseoir à la même table le gouvernement colombien et les chefs du Clan del Golfo.
À l’issue de la cérémonie, le négociateur qatari Mohammed Al-Khulaifi a parlé d’une « étape vers le désarmement » tout en restant prudent : « Il reste de nombreux obstacles et défis à surmonter. » Une phrase qui résume parfaitement l’état d’esprit des deux parties.
Que Contient Concrètement l’Accord Signé ?
Le document repose sur deux piliers majeurs, chacun chargé de symboles forts.
- La lutte contre la production de drogue et le recrutement de mineurs dans quinze territoires stratégiques sous influence du Clan.
- La réinsertion immédiate des enfants soldats déjà enrôlés, avec un programme dédié pour les sortir des rangs armés et les ramener dans la société civile.
Ces mesures ne sont pas seulement techniques : elles touchent au cœur du modèle économique et humain du groupe. Contrôler moins de laboratoires de cocaïne et cesser d’enrôler des adolescents, c’est déjà accepter de perdre une partie de son pouvoir.
« La Colombie choisit la paix négociée et remercie toutes les nations qui nous accompagnent. »
Agueda Gomez, représentante du gouvernement colombien
Le Clan del Golfo Veut Être Reconnu Comme Acteur Politique
Voici le point le plus sensible, et sans doute le plus explosif, des négociations à venir. Le Clan del Golfo refuse catégoriquement l’étiquette de simple cartel criminel. Ses représentants exigent d’être traités comme une organisation politico-militaire, à l’image de l’ELN ou des dissidences ex-Farc.
Concrètement, cela signifie bénéficier d’un traitement judiciaire spécial : peines allégées, amnisties partielles, possibilité de transformer l’organisation en mouvement politique légal. Un scénario déjà vécu avec les paramilitaires des AUC dans les années 2000, mais qui avait mal fini avec la naissance… du Clan del Golfo lui-même sur les cendres de ces mêmes groupes.
Luis Armando Perez Castaneda, porte-parole du Clan lors de la signature, a été clair : « Ce processus démontre l’engagement du commandement conjoint en faveur de la paix. » Des mots qui sonnent comme une mise en garde : sans reconnaissance politique, pas de désarmement complet.
Gustavo Petro et sa « Paix Totale » à l’Épreuve des Faits
Depuis son élection en 2022, le président Gustavo Petro a fait de la négociation avec tous les groupes armés le cœur de sa doctrine. Il appelle cela la Paix Totale. Après l’accord historique de 2016 avec les Farc, puis les discussions en cours avec l’ELN, voilà maintenant les paramilitaires-nés-du-narcotrafic qui entrent dans la danse.
Mais chaque groupe a ses exigences, et chaque avancée coûte cher politiquement. Accepter de discuter avec ceux que l’on présentait hier comme de simples narco-trafiquants expose Petro à de vives critiques, y compris dans son propre camp.
Pourtant, l’argument du président est simple : tant que ces 7 500 hommes restent armés, la violence continuera. Mieux vaut une paix imparfaite qu’une guerre éternelle.
Les Enfants Soldats, Symbole d’un Accord Plus Humain
Parmi tous les points de l’accord, celui sur les mineurs recrutés touche particulièrement. Le Clan del Golfo, comme beaucoup de groupes armés colombiens, a longtemps intégré des adolescents, parfois dès 12 ans, dans ses rangs.
L’engagement à les démobiliser et à les réinsérer n’est pas seulement une obligation morale : c’est aussi un signal envoyé aux familles des régions sous contrôle du groupe. Si la paix permet de récupérer ses enfants, alors elle devient désirable.
Les programmes de réinsertion, déjà testés avec d’anciens guérilleros Farc, seront adaptés. Éducation, formation professionnelle, accompagnement psychologique : tout est prévu pour éviter que ces jeunes ne retombent dans la délinquance ou ne rejoignent d’autres bandes.
Les Défis Immenses Qui Restent à Surmonter
Personne ne se fait d’illusions. Le chemin vers un cessez-le-feu durable, puis vers un désarmement total, sera semé d’embûches.
- Les dissidences internes au Clan del Golfo, certains commandants refusant déjà toute négociation.
- La concurrence avec d’autres groupes (ELN, dissidences Farc) qui pourraient profiter d’un affaiblissement du Clan.
- La pression des États-Unis, premier consommateur de cocaïne et farouchement opposé à tout traitement clément envers les narco-trafiquants.
- La méfiance de l’opinion publique colombienne, marquée par des décennies d’attentats et d’extorsions.
Chaque point peut faire dérailler le processus. Et l’histoire colombienne est remplie de négociations qui ont capoté au dernier moment.
Pourquoi le Qatar, et Pourquoi Maintenant ?
Le rôle du Qatar mérite qu’on s’y arrête. L’émirat a investi des moyens colossaux dans la médiation internationale ces dernières années. Après avoir ramené les talibans à la table des négociations, voilà qu’il s’attaque à l’un des conflits les plus complexes d’Amérique latine.
Ses atouts ? Neutralité absolue, discrétion totale, et surtout une capacité à faire venir tout le monde, même ceux que personne ne veut recevoir officiellement. Ajoutez à cela des moyens financiers illimités pour organiser, loger, protéger les délégations pendant des mois.
La Norvège et la Suisse apportent leur expérience historique dans les processus colombiens. L’Espagne, elle, joue sur ses liens culturels et son poids diplomatique. Un quatuor inattendu, mais visiblement efficace.
Et Après ? Les Prochaines Étapes Cruciales
L’accord signé n’est qu’un préambule. Les vraies négociations commencent maintenant. Plusieurs rounds sont déjà programmés au Qatar dans les prochains mois.
On parle d’un calendrier ambitieux : cessez-le-feu progressif par régions, remise des armes sous contrôle international, création d’une juridiction spéciale pour juger les crimes tout en offrant des peines alternatives. Rien n’est encore acté, tout reste à écrire.
Mais pour la première fois depuis longtemps, les Colombiens peuvent envisager un futur où le Clan del Golfo ne serait plus une menace quotidienne. Un futur où les routes du nord du pays ne seraient plus sous contrôle de barrages illégaux. Un futur où les enfants pourraient grandir sans fusil.
Fragile, incertain, imparfait… mais possible.
L’histoire nous dira si cet accord qatari restera dans les livres comme un tournant décisif ou comme une énième tentative avortée. Pour l’instant, il redonne simplement un peu d’espoir à un pays qui en a tant manqué.









