Imaginez : plus de 235 milliards d’euros appartenant à la Banque centrale russe, immobilisés depuis 2022 en Europe, et qui pourraient, d’un simple vote, servir à acheter des obus pour l’Ukraine. Ce qui ressemble à une solution miracle pour Kiev est vécu à Moscou comme un casus belli financier. Et vendredi, l’ambassadeur russe à Berlin a mis les pieds dans le plat avec une violence rare.
Un ambassadeur russe sort du silence et tape du poing sur la table
Sergueï Netchaïev ne mâche pas ses mots. Dans un communiqué envoyé à l’AFP, il qualifie toute utilisation des avoirs souverains russes sans l’accord de Moscou de « vol pur et simple ». Pour lui, les conséquences seraient « d’ampleur » et toucheraient directement l’Union européenne au cœur.
Il va plus loin : la réputation de l’Europe comme place financière sûre serait « détruite », des procédures judiciaires « interminables » s’ouvriraient, et l’UE ouvrirait la porte à « l’anarchie juridique » et à la « destruction des fondements du système financier mondial ». Rien que ça.
« Toute opération avec les avoirs souverains de la Russie sans l’accord de la Russie serait du vol. Et il est clair que le vol de fonds de l’État russe aura des conséquences d’ampleur. »
Sergueï Netchaïev, ambassadeur de Russie à Berlin
Pourquoi la Belgique bloque tout (et tient l’Europe en otage)
Sur les 235 milliards d’euros gelés dans l’Union, environ 210 milliards dorment chez Euroclear, une société basée… à Bruxelles. Autant dire que la Belgique a la clé du coffre-fort. Et elle n’est pas prête à la tourner.
Le gouvernement belge redoute deux choses : que la saisie définitive des avoirs russes ne fasse jurisprudence et ne menace, demain, des actifs européens à l’étranger (pensez aux réserves chinoises ou saoudiennes). Et que l’euro lui-même ne soit perçu comme une monnaie confiscable, ce qui serait un suicide économique.
Ce vendredi soir, le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz se rendait justement en Belgique pour tenter de convaincre le Premier ministre Bart De Wever. Objectif : débloquer le plan de la Commission européenne. Mission quasi impossible.
Quatre scénarios possibles (et aucun n’est rose)
- Scénario 1 – On touche aux avoirs eux-mêmes : confiscation totale. Moscou crie au vol d’État et saisit à son tour tous les actifs européens en Russie (estimés à plusieurs centaines de milliards). Premiers perdants : les entreprises allemandes et françaises encore présentes.
- Scénario 2 – On prend seulement les intérêts : solution « light » déjà utilisée (environ 3 milliards par an). La Russie conteste devant les tribunaux, mais l’impact immédiat est limité.
- Scénario 3 – On crée un prêt garanti sur les avoirs : l’UE emprunte 50 milliards en mettant les avoirs russes en garantie. Techniquement pas une confiscation… mais Moscou considérera quand même que c’est du vol déguisé.
- Scénario 4 – On bloque tout : la Belgique maintient son veto, l’Ukraine reste sans fonds supplémentaires, et la fatigue européenne s’installe un peu plus.
Ce que dit vraiment Moscou entre les lignes
L’ambassadeur Netchaïev glisse une phrase lourde de sens : l’Europe n’aurait tout simplement plus les « ressources considérables » nécessaires pour maintenir l’Ukraine dans la guerre. Traduction : vous êtes à bout de souffle, et vous le savez.
Derrière la menace juridique, il y a une forme de provocation : « Allez-y, touchez, et vous verrez que vous n’avez plus les moyens de vos ambitions. »
L’ombre de Donald Trump plane sur toute l’affaire
Depuis son retour annoncé à la Maison-Blanche, Donald Trump répète qu’il veut « arrêter cette guerre absurde » en quelques semaines. Traduction : pressions maximales sur Kiev pour accepter un accord, et probablement gel de l’aide américaine.
Dans ce contexte, l’Europe se retrouve seule face à un dilemme cornélien : soit elle trouve des centaines de milliards supplémentaires (impossible), soit elle accepte une paix qui ressemblerait à une capitulation ukrainienne, soit… elle franchit la ligne rouge et touche aux avoirs russes.
Autant dire que la proposition de la Commission arrive au pire moment : quand l’Europe est la plus faible et la plus divisée.
Et si l’histoire donnait raison à la Russie ?
Il y a un précédent qui hante tous les juristes : après la Révolution iranienne de 1979, les États-Unis ont gelé puis confisqué des avoirs iraniens. Téhéran a répondu en prenant en otage le personnel de l’ambassade américaine. Résultat : rupture totale pendant quarante ans.
Moscou, qui dispose encore d’armes nucléaires et d’une capacité de nuisance immense, pourrait choisir une réponse asymétrique bien plus douloureuse qu’un simple procès.
Le risque systémique en une phrase : si l’Europe crée le précédent qu’un État peut saisir les réserves d’un autre État, alors plus aucun pays émergent ou adversaire des États-Unis ne placera ses réserves en dollars ou en euros. Fin de la domination monétaire occidentale.
Où en est-on vraiment ce vendredi soir ?
Le dîner Merz – De Wever a commencé. Les deux hommes savent que l’Europe joue son avenir financier sur cette décision. La Russie, elle, a déjà prévenu : elle considère toute utilisation sans accord comme un casus belli économique.
Et pendant ce temps, sur le front, les soldats ukrainiens manquent de tout. L’ironie est cruelle : l’argent russe pourrait sauver Kiev… ou précipiter la chute de l’ordre financier européen.
Une chose est sûre : nous assistons peut-être au moment où l’Europe va franchir, ou non, le point de non-retour.
À suivre. De très près.









