Imaginez un pays qui, pendant plus de sept ans, a été persona non grata sur les marchés financiers internationaux. Un pays incapable d’emprunter un seul dollar sans passer par des voies détournées. Et puis, un vendredi matin, tout bascule : l’Argentine annonce son grand retour avec un emprunt obligataire en dollars. C’est exactement ce qui vient de se produire sous la présidence de Javier Milei.
Un retour historique sur les marchés de la dette
Le gouvernement argentin a officiellement lancé, vendredi dernier, son premier emprunt international en dollars depuis 2018. Il s’agit d’une obligation à quatre ans, échéance fin 2029, portant un taux d’intérêt de 6,5 %. Pour un pays qui était complètement fermé aux investisseurs étrangers, cette opération représente bien plus qu’une simple émission de titres : c’est un symbole fort de normalisation.
Le ministre de l’Économie, Luis Caputo, n’a pas caché sa satisfaction. Selon lui, la consolidation des fondamentaux macroéconomiques et la disparition progressive du risque politique ont permis une chute spectaculaire du risque-pays. Résultat : les investisseurs acceptent à nouveau de prêter à l’État argentin à des conditions raisonnables.
Pourquoi ce retour était-il si attendu ?
L’Argentine traîne depuis des décennies une réputation de débiteur chronique. Avec des réserves de change historiquement faibles, le pays a souvent dû rembourser sa dette avec ses propres fonds au lieu de la refinancer comme le font la plupart des États. Cette situation a vidé les caisses de la Banque centrale et rendu impossible toute politique monétaire souple.
Désormais, grâce à cet accès retrouvé au crédit international, le Trésor argentin dispose d’une marge de manœuvre inédite. Il peut refinancer les échéances à venir – notamment celles de début 2026 – sans puiser davantage dans les réserves. Un vrai bol d’air pour un pays qui doit impérativement reconstituer ses stocks de dollars.
« C’est une avancée très importante »
Luis Caputo, ministre de l’Économie
Un emprunt qui sert plusieurs objectifs stratégiques
Au-delà du refinancement, cette opération poursuit trois grands buts :
- Reconstituer les réserves de change, exigence clé du Fonds monétaire international
- Éviter une pression excessive sur le peso lors des gros remboursements
- Envoyer un signal de confiance aux marchés internationaux
Et le timing n’est pas anodin. L’Argentine doit faire face à plus de 4 milliards de dollars d’échéances dès janvier prochain. Parallèlement, des négociations sont en cours avec des banques privées pour un prêt pouvant atteindre 7 milliards de dollars. Tous ces leviers financiers convergent vers un même objectif : éviter un nouveau défaut de paiement.
Le rôle du FMI et du soutien américain
En avril dernier, Buenos Aires a signé un nouvel accord avec le FMI pour un prêt de 20 milliards de dollars destiné à soutenir le plan de stabilisation. L’Argentine reste d’ailleurs le principal débiteur de l’institution. Ce soutien n’est pas neutre : il agit comme un label de crédibilité auprès des investisseurs privés.
À cela s’ajoute l’appui discret mais réel de l’administration Trump, alliée idéologique du président Milei. Un accord d’échange de devises portant sur 20 milliards de dollars a été conclu avec les États-Unis. Dans le monde de la finance internationale, avoir Washington dans son camp change beaucoup de choses.
La réaction immédiate des marchés
Dès l’annonce, les marchés ont salué l’opération. L’indice Merval de la Bourse de Buenos Aires a bondi de 2 % dans la foulée. Le peso s’est raffermi face au dollar, signe que les opérateurs anticipent une moindre pression sur les réserves.
Évolution immédiate après l’annonce
✓ Merval : +2 %
✓ Peso : appréciation face au dollar
✓ Risque-pays : nouvelle baisse
Milei : deux ans d’austérité qui commencent à payer
Arrivé au pouvoir fin 2023, Javier Milei a imposé une cure d’austérité sans précédent. Déficit zéro, coupes budgétaires massives, licenciements dans la fonction publique : le choc a été violent. Le pays a traversé une récession profonde en 2024, avec des dizaines de milliers d’emplois perdus.
Mais les résultats macroéconomiques sont là. L’inflation, qui dépassait les 200 % fin 2023, est retombée à environ 31 % aujourd’hui. Une décélération spectaculaire qui commence à redonner de la crédibilité au peso et à l’ensemble de la politique économique.
Le succès relatif des élections législatives de mi-mandat en octobre a renforcé la majorité parlementaire du président. Il dispose désormais d’une fenêtre de deux ans pour faire passer ses grandes réformes structurelles : droit du travail, fiscalité, ouverture commerciale.
Que disent les économistes argentins ?
Les avis sont globalement positifs, même chez ceux qui ne partagent pas l’idéologie libertarienne de Milei. Hernan Lacunza, ancien ministre des Finances sous Mauricio Macri, parle d’une « bonne étape sur la voie de la normalisation financière ».
Fausto Spotorno, économiste et directeur universitaire, va dans le même sens : cette réouverture des marchés offre « un outil supplémentaire » précieux au gouvernement pour gérer sa dette et ses réserves.
« Il a été difficile de constituer des réserves car l’Argentine, n’ayant pas accès au crédit, a dû rembourser sa dette avec ses propres fonds »
Luis Caputo
Les défis qui restent énormes
Si ce retour sur les marchés est une victoire symbolique, il ne faut pas se leurrer : l’Argentine reste très fragile. La dette publique est toujours colossale, les réserves de la Banque centrale sont encore faibles, et la récession pèse sur la population.
Le succès définitif de cette opération dépendra de la capacité du gouvernement à maintenir la discipline budgétaire, à faire voter ses réformes, et à convaincre les investisseurs que cette fois, c’est la bonne.
Comme l’a tweeté Javier Milei lui-même : « Nous revenons sur les marchés des capitaux ». Une phrase simple, mais qui résonne comme un espoir après des années d’isolement financier.
Pour la première fois depuis longtemps, l’Argentine regarde l’avenir avec un peu moins d’angoisse et un peu plus d’optimisme prudent. Le chemin est encore long, mais le premier pas décisif semble avoir été franchi.









