Imaginez devoir raccompagner votre enfant au collège parce que sortir seul est devenu trop dangereux. Imaginez des parents obligés de monter la garde devant un établissement qui affiche pourtant 100 % de réussite au bac. C’est la réalité quotidienne, en décembre 2025, aux abords de la Cité scolaire internationale de Lyon, dans le quartier de Gerland.
Quand les parents remplacent la police
Ils sont ingénieurs, médecins, cadres supérieurs. Des familles venues du monde entier pour offrir à leurs enfants une scolarité d’excellence dans l’une des dix sections internationales. Et pourtant, chaque matin et chaque soir, certains d’entre eux enfilent un gilet jaune fluo et font des rondes. Pas par plaisir. Par nécessité.
« On assume notre responsabilité de parents, mais ce n’est pas la solution », confie l’un d’eux, la voix lasse. Douze agressions recensées depuis septembre. Des tentatives de vol qui tournent souvent à la violence gratuite : gaz lacrymogène dans les yeux, gifles, coups de poing, téléphones arrachés. Des adolescents pris pour cible uniquement parce qu’ils portent l’uniforme d’un lycée prestigieux.
Une violence qui ne connaît plus de limites
Le 16 octobre dernier, deux lycéens rentraient tranquillement chez eux. Quatre individus encagoulés les ont entourés. Exigence des codes de déverrouillage des téléphones. Refus. Gaz lacrymogène. Gifles. Les appareils finissent quand même dans les poches des agresseurs. Une scène banale dans certains quartiers, sauf que nous sommes ici place Montréal, à deux pas du stade de l’OL et du nouveau quartier d’affaires de Gerland.
Quelques semaines plus tard, c’est un collégien qui se retrouve plaqué au sol. Sans l’intervention d’un adulte alerté par ses cris, l’histoire aurait pu très mal finir. « Il a eu le réflexe d’appeler à l’aide », raconte son père, encore sous le choc. « Sans cela… je n’ose même pas y penser. »
« On a l’impression que nos enfants sont des proies faciles. Ils sont ciblés parce qu’ils viennent d’un bon lycée, donc ils ont forcément un beau téléphone. »
Un parent d’élève excédé
Un établissement d’excellence devenu cible
La Cité scolaire internationale, c’est 2 000 élèves de l’élémentaire au lycée, dix sections linguistiques, un taux de réussite au bac proche de 100 % chaque année. Un joyau de l’éducation nationale française, classé parmi les tout meilleurs établissements de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais le prestige attire aussi la convoitise. Les agresseurs savent parfaitement où frapper. Ils connaissent les horaires de sortie, les trajets vers les arrêts de tram et de métro. Ils opèrent en bande, souvent mineurs, parfois très jeunes. Et ils n’ont peur de rien : ni des caméras de vidéosurveillance, ni des rares passages de police.
Le paradoxe est saisissant : dans un quartier en pleine mutation, avec ses immeubles neufs, ses entreprises high-tech et son stade ultramoderne, des enfants doivent être protégés comme dans les zones les plus sensibles de la ville.
Des réponses institutionnelles jugées insuffisantes
Face à la colère des parents, la Ville de Lyon et les services de l’État ont promis un renforcement des patrouilles. Des policiers supplémentaires, des passages plus fréquents aux heures de sortie des classes. Des mesures annoncées, parfois mises en place… puis qui s’essoufflent au fil des semaines.
« On voit la police de temps en temps, reconnaît un père de famille. Mais dès qu’ils partent, les guetteurs reviennent. C’est un jeu du chat et de la souris permanent. »
Certains parents ont tenté d’alerter plus haut. Courriers à la préfecture, au rectorat, à la mairie d’arrondissement. Réponses polies, promesses de vigilance. Mais sur le terrain, peu de changements concrets. La vidéosurveillance ? Elle existe, mais les images servent rarement une fois l’agression commise.
L’organisation spontanée des familles
C’est là que tout a basculé. Excédés d’attendre des solutions qui ne viennent pas, les parents ont décidé de s’organiser eux-mêmes. Un groupe WhatsApp d’abord. Puis un planning de présence. Chaque jour, plusieurs adultes assurent une présence visible aux abords de l’établissement.
Ils ne se substituent pas à la police – ils le répètent à l’envi. Ils veulent juste montrer qu’ils sont là. Qu’ils voient. Qu’ils n’accepteront plus que leurs enfants soient des cibles faciles.
- Gilets jaunes pour être bien visibles
- Talkies-walkies pour rester en contact
- Présence dès 7h30 et jusqu’à 18h
- Signalement immédiat aux forces de l’ordre en cas d’individus suspects
- Accompagnement des plus jeunes jusqu’aux arrêts de transport
Cette mobilisation citoyenne, aussi louable soit-elle, pose une question dérangeante : jusqu’où l’État a-t-il abdiqué ses responsabilités régaliennes ?
Un phénomène qui dépasse Gerland
Ce qui se passe à la Cité scolaire internationale n’est malheureusement pas isolé. Dans d’autres quartiers de Lyon, à Villeurbanne, à Vénissieux, dans de nombreuses grandes villes françaises, le même schéma se répète. Des établissements scolaires, même réputés, deviennent des zones de prédation.
Les parents échangent leurs expériences sur les réseaux. Ils comparent les modes opératoires. Ils constatent, amers, que les agresseurs semblent toujours avoir un temps d’avance. Et que les réponses pénales, quand il y en a, restent souvent symboliques.
« On nous parle d’éducation, de prévention, de travail social, soupire une mère de famille. Mais quand votre enfant se fait gazer pour un téléphone à 1 000 euros, on a passé le stade de la prévention. »
Vers une privatisation de la sécurité scolaire ?
Certains parents y pensent déjà. Embaucher une société de sécurité privée ? Installer des portiques de détection ? Des mesures qui paraissaient inimaginables il y a encore quelques années dans un établissement public français.
Mais quand l’État ne protège plus, que reste-t-il ? Payer de sa poche pour assurer la sécurité de ses enfants ? Le sentiment est amer. D’autant plus amer que ces familles paient déjà des impôts pour que l’État remplisse précisément cette mission.
La situation à Gerland est un révélateur brutal. Derrière les beaux discours sur l’école de la République, une et indivisible, se cache une réalité bien plus cruelle : dans certains territoires, l’insécurité a déjà gagné.
Et ce sont les parents, ceux-là mêmes qui font tout pour que leurs enfants réussissent, qui se retrouvent en première ligne. Pas par choix. Par abandon.
À quand un vrai sursaut ? À quand des moyens proportionnés à la gravité des faits ? À quand la fin de cette impression que certains quartiers, certaines écoles, certains enfants, ne méritent plus la même protection que les autres ?
En attendant, chaque matin, des parents continueront de faire le guet devant la Cité scolaire internationale. Parce qu’eux, au moins, n’ont pas baissé les bras.









