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À Gaza, un Petit Cirque Défie la Guerre et la Famine

Dans les ruines de Gaza, un clown au nez rouge fait rire des dizaines d’enfants. Derrière les applaudissements, deux artistes ont été tués et la troupe lutte contre la faim. Comment ont-ils tenu ? Le documentaire primé « One more show » révèle l’incroyable…

Imaginez un clown au gros nez rouge qui jongle au milieu des gravats, sous un ciel gris de poussière. Autour de lui, des dizaines d’enfants rient à gorge déployée, oublient un instant les sirènes et les explosions. Cette scène n’est pas tirée d’un conte. Elle s’est déroulée pour de vrai, été 2024, dans la bande de Gaza en guerre. Et elle est devenue le cœur battant d’un documentaire qui vient de bouleverser le public du Festival international du film du Caire.

Un cirque qui refuse de baisser le rideau

Le Free Gaza Circus existe depuis plusieurs années, mais jamais il n’avait connu pareille épreuve. Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et la réponse militaire israélienne qui s’en est suivie, la petite troupe a vu son local de répétition réduit en cendres, ses membres dispersés, certains blessés, d’autres tués. Pourtant, ils ont continué. Parce que, disent-ils, faire rire les enfants dans l’enfer est la plus belle des révoltes.

« One more show », un film né dans l’urgence

Le documentaire One more show (Encore un spectacle) est signé de deux réalisateurs : Mai Saad, Égyptienne installée au Caire, et Ahmed al-Danaf, Palestinien de 26 ans resté à Gaza. Tourné presque clandestinement durant l’été 2024, le film suit le quotidien de la troupe alors que les bombardements s’intensifient.

Ahmed al-Danaf a tout risqué pour filmer. Internet coupé, routes détruites, il marchait parfois des heures pour trouver un point de connexion et transmettre ses rushes à Mai Saad. « C’était la première fois que je voyais un projet parler de la vie quotidienne à Gaza, pas seulement des bombes », confie-t-il.

« Je devais parfois marcher sur de longues distances pour pouvoir envoyer les rushes, mais j’avais à cœur de mener le projet à bien. »

Ahmed al-Danaf, coréalisateur et cadreur

Des spectacles improvisés dans les camps de déplacés

Leur salle habituelle, en plein centre-ville de Gaza, n’existe plus. Alors les artistes se produisent là où ils peuvent : écoles transformées en abris, tentes surchargées, terrains vagues entourés de ruines. Ils partagent le peu de maquillage restant, s’habillent sans miroir, se prêtent mutuellement leurs costumes rapiécés.

Dans le film, on voit un jongleur répéter avec trois balles abîmées pendant que, à quelques mètres, une famille fait la queue pour un demi-litre d’eau. Le contraste est violent, mais c’est précisément ce contraste que les réalisateurs ont voulu montrer : la vie qui continue, coûte que coûte.

Youssef Khader, fondateur de la troupe, explique simplement :

« Nous voulions qu’ils voient autre chose que la guerre et la destruction. »

Quand la famine menace même les rires

À partir de l’été 2025, la situation devient critique. L’ONU alerte sur une famine dans plusieurs zones du territoire. Les artistes eux-mêmes n’ont plus rien à manger. Youssef Khader raconte avoir acheté 20 grammes de sucre 15 dollars certains jours. Parfois, il ne restait que du lait infantile pour tenir.

Le cirque suspend ses activités plusieurs mois. Deux artistes ont été tués dans des frappes, trois autres grièvement blessés. La troupe est épuisée, moralement et physiquement.

Puis, après la trêve fragile d’octobre 2025, ils reprennent. En plus petit, avec moins d’énergie, mais ils reprennent. Parce que les enfants, eux, sont toujours là, et qu’ils ont besoin de rire.

Un prix du public qui redonne espoir

Le film a été présenté en novembre au Festival du Caire. Aucun membre de la troupe n’a pu se déplacer. Ahmed al-Danaf a suivi la cérémonie en visio, depuis Gaza, grâce à une connexion précaire. Mai Saad a marché seule sur le tapis rouge, mais elle portait leurs voix.

Contre toute attente, One more show remporte le Prix du public. Les 20 000 dollars de dotation seront intégralement reversés pour reconstruire un local pour le cirque à Gaza.

Un clown, quelques balles, un nez rouge.
Dans l’enfer de Gaza, ils sont devenus des héros du quotidien.

Pourquoi ce documentaire nous concerne tous

Parce qu’il ne montre pas seulement la souffrance – même si elle est là, omniprésente. Il montre surtout la dignité. La capacité de l’être humain à créer de la beauté même quand tout s’écroule autour de lui.

Les images d’enfants qui applaudissent un numéro de magie au milieu des décombres resteront gravées longtemps. Elles rappellent que l’art n’est pas un luxe : c’est parfois la seule chose qui nous empêche de sombrer.

Aujourd’hui, le Free Gaza Circus tourne toujours, tant bien que mal. Les spectacles sont plus courts, les artistes plus fatigués. Mais ils sont là. Et tant qu’ils seront là, il restera une raison d’espérer.

One more show. Encore un spectacle.
Et un de plus demain, si Dieu le veut.

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