Imaginez un pays entier qui bascule en quelques semaines. Un président en exercice qui fuit en pleine nuit avec l’aide d’une puissance étrangère, un colonel qui déclare devant des milliers de manifestants : « On va prendre le pouvoir à partir d’aujourd’hui ». C’est exactement ce qui s’est passé à Madagascar en octobre dernier. Aujourd’hui, l’homme qui tient les rênes s’appelle le colonel Michael Randrianirina et il a des comptes à régler.
Un nouveau chapitre s’ouvre à Antananarivo
Le 17 octobre, le colonel Michael Randrianirina, 51 ans, a été officiellement investi « Président de la Refondation ». Quelques jours plus tôt, son unité spéciale, le CPASAT, avait rallié le vaste mouvement de contestation populaire déclenché un mois auparavant. Très vite, le palais présidentiel est tombé et l’ancien chef de l’État, Andry Rajoelina a dû quitter précipitamment la Grande Île, avec, selon de nombreuses voix, l’assistance logistique de la France.
Depuis, le colonel refuse catégoriquement l’étiquette de putschiste. Pour lui, tout s’est déroulé dans un cadre légal : la Haute Cour constitutionnelle a constaté la vacance du pouvoir et lui a transféré la charge de l’État. Une version contestée à l’étranger, mais qui tient la route sur place pour l’instant.
Un jugement à Madagascar, pas ailleurs
Dans un entretien récent, le nouvel homme fort a été très clair sur le sort qu’il réserve à Andry Rajoelina, toujours en exil.
« Notre souhait, c’est de le juger à Madagascar. Tout ce qui s’est passé découle des ordres du président, même les blessures par balle. Ce sont des crimes qui pourraient faire l’objet de jugement et c’est tout à fait légitime pour les Malgaches de réclamer leurs droits. »
Cette déclaration ne laisse aucune place au doute : pour le colonel Randrianirina, la répression sanglante des manifestations de septembre-octobre relève de la responsabilité directe de l’ancien régime. Des enquêtes sont d’ores et déjà en cours et plusieurs officiers proches de l’ex-président ont été interpellés.
Mais Andry Rajoelina n’est pas le seul dans le viseur.
Mamy Ravatomanga, l’homme d’affaires dans la tourmente
L’influent homme d’affaires Maminiaina Ravatomanga, surnommé « Mamy », très proche de l’ancien président, s’est réfugié à l’île Maurice après la chute du régime. Soupçonné de blanchiment d’argent et de détournements massifs, il fait l’objet d’une procédure judiciaire là-bas.
Le colonel Randrianirina veut, là aussi, un retour à Madagascar pour un procès local. Pour lui, ces affaires ne peuvent pas être réglées à l’étranger : elles touchent le cœur de la souveraineté malgache et des années de prédation présumée.
La France, entre indignation et realpolitik
L’exfiltration d’Andry Rajoelina avec l’aide française a profondément choqué l’opinion malgache. Des manifestations anti-françaises ont éclaté dans plusieurs villes et le sentiment antifrançais a atteint des sommets rarement vus depuis l’indépendance.
Pourtant, le colonel adopte une posture pragmatique. Il a récemment eu une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron et a accepté les aides proposées par Paris, tout en précisant immédiatement :
« Nous sommes prêts à collaborer avec d’autres pays. »
Un message clair : Madagascar ne veut plus dépendre exclusivement de son ancienne puissance coloniale.
Ouverture tous azimuts, y compris vers Moscou
Preuve de cette diversification, le président de l’Assemblée nationale malgache s’est récemment rendu à Moscou. Interrogé sur d’éventuelles rencontres avec Vladimir Poutine, le colonel Randrianirina répond avec sérénité :
« Je suis ouvert à tout type de collaboration. Aucune rencontre n’est prévue à ce stade, mais nous regardons toutes les opportunités. »
Dans un contexte géopolitique tendu, Madagascar semble vouloir rééquilibrer ses alliances et ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier.
Un calendrier ambitieux de « refondation »
Le colonel a dévoilé les grandes étapes de sa feuille de route :
- Organisation d’une concertation nationale inclusive dans les prochains mois
- Rédaction et adoption d’une nouvelle Constitution via référendum
- Organisation d’une élection présidentielle libre et transparente
Tout cela doit être bouclé d’ici deux ans maximum. Un calendrier serré qui suscite à la fois espoir et scepticisme.
Quand on lui demande s’il sera candidat à cette future élection, sa réponse est sans ambiguïté :
« Là, je travaille. Je ne pense pas à être candidat en ce moment. »
Une phrase qui laisse la porte entrouverte… ou qui cherche simplement à calmer les esprits.
Un pays à la croisée des chemins
Madagascar vit aujourd’hui une période d’incertitude mais aussi d’immense espoir. Après des années marquées par des crises à répétition, des présidents renversés ou en fuite, l’arrivée d’un militaire à la tête de l’État peut apparaître comme un retour en arrière.
Mais le colonel Randrianirina jure qu’il n’est là que pour remettre le pays sur les rails et organiser une transition crédible. Reste à savoir si les Malgaches lui feront confiance assez longtemps pour mener à bien cette « refondation » ou s’ils descendront à nouveau dans la rue pour exiger un retour immédiat à l’ordre constitutionnel classique.
Une chose est sûre : les prochains mois seront décisifs. Et le monde entier a les yeux tournés vers la Grande Île.
Madagascar retient son souffle.
Entre justice, refondation et nouvelles alliances, le colonel Michael Randrianirina écrit peut-être la page la plus importante de l’histoire récente du pays.
À suivre de très près.









