Imaginez-vous atterrir à Vilnius et voir soudain votre avion faire demi-tour parce qu’un ballon de baudruche rempli de cigarettes traverse la piste d’atterrissage à 10 000 mètres d’altitude. Ce qui ressemble à une blague absurde est devenu, en quelques mois, une réalité quotidienne en Lituanie.
Un état d’urgence pour des ballons : la décision historique de Vilnius
La Première ministre lituanienne, Ingrida Šimonytė (le texte original mentionne à tort Inga Ruginiene), a annoncé vendredi que le pays se prépare à déclarer un état d’urgence national. Motif ? Des centaines de ballons gonflés à l’hélium, chargés de cartouches de cigarettes, lancés depuis le Bélarus et qui traversent systématiquement l’espace aérien lituanien.
Cette mesure exceptionnelle, qui doit entrer en vigueur la semaine prochaine, permettra au gouvernement de mobiliser des moyens supplémentaires : armée, police aux frontières, services de renseignement et même chasseurs de l’OTAN stationnés dans le pays.
Comment des ballons peuvent-ils paralyser deux aéroports internationaux ?
Les ballons en question ne sont pas de simples jouets d’anniversaire. Ils mesurent plusieurs mètres de diamètre, portent jusqu’à 200 kg de marchandises et montent à plus de dix kilomètres d’altitude, là où passent les avions en approche finale des aéroports de Vilnius et Kaunas.
Le danger est réel : un ballon qui éclate ou qui perd sa cargaison peut provoquer une collision catastrophique. Depuis octobre, les deux principaux aéroports lituaniens ont dû suspendre leurs opérations à plusieurs reprises, parfois pendant des heures.
« Nous préparons actuellement la base juridique nécessaire. L’état d’urgence est la meilleure mesure à prendre pour le moment », a déclaré la Première ministre.
Une vieille technique de contrebande devenue arme politique
L’utilisation de ballons pour faire passer des cigarettes en franchise de taxes n’est pas nouvelle. Depuis les années 2000, les contrebandiers les lancent depuis le Bélarus vers la Lituanie ou la Pologne. Mais jamais à cette échelle, et jamais en visant délibérément les couloirs aériens.
Les autorités lituaniennes parlent d’une opération coordonnée. Les ballons sont équipés de GPS, de systèmes de largage automatique et sont lancés à des horaires précis pour maximiser les perturbations. Coïncidence ou pas, l’intensification commence juste après la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko et les nouvelles sanctions européennes.
La réponse lituanienne : fermeture des postes-frontières et escalade
Fin octobre, Vilnius a fermé temporairement ses deux derniers postes-frontières encore ouverts avec le Bélarus. Résultat immédiat : des milliers de camions lituaniens se sont retrouvés bloqués de l’autre côté.
Minsk a riposté en interdisant aux chauffeurs lituaniens de quitter le territoire sans payer une taxe spéciale, qualifiée de « prise d’otages » par les autorités lituaniennes. Aujourd’hui, plusieurs milliers de poids lourds sont toujours immobilisés.
Le cercle vicieux est lancé : plus la Lituanie serre la vis, plus le Bélarus invente de nouvelles formes de représailles. Les ballons ne sont que la partie visible d’une guerre hybride qui dure depuis 2020.
Pourquoi le Bélarus s’acharne-t-il sur son petit voisin balte ?
La Lituanie est devenue, depuis 2020, l’un des critiques les plus virulents du régime de Loukachenko. Elle héberge l’opposition bélarusse en exil, dont Svetlana Tsikhanovskaïa, soutient activement les sanctions européennes et a coupé presque tout commerce bilatéral.
En retour, Minsk accuse Vilnius de sabotage économique et d’ingérence. Les ballons, les blocages de camions, les migrants poussés à la frontière en 2021 : tout fait partie d’un arsenal de mesures destinées à faire plier un voisin jugé trop bruyant au sein de l’UE et de l’OTAN.
Et maintenant ? Vers une intervention militaire limitée ?
La Première ministre n’exclut rien. « Nous n’excluons pas d’aller plus loin », a-t-elle prévenu. Certains responsables évoquent déjà la possibilité d’abattre les ballons en vol, ce qui constituerait une première depuis la fin de la Guerre froide sur le sol européen.
L’armée lituanienne a déjà déployé des systèmes radar supplémentaires et des unités mobiles anti-aériennes près de la frontière. Des manœuvres conjointes avec les forces de l’OTAN stationnées à Šiauliai sont également été accélérées.
Pour l’instant, la priorité reste juridique : l’état d’urgence doit permettre de légaliser des mesures qui, en temps normal, seraient considérées comme disproportionnées face à… des ballons.
Une situation qui dépasse largement la Lituanie
Ce conflit de basse intensité inquiète toute l’Europe de l’Est. La Pologne signale une recrudescence similaire de ballons au-dessus de Białystok. La Lettonie surveille sa frontière. L’Estonie a renforcé sa veille aérienne.
À Bruxelles, on parle d’une nouvelle forme de déstabilisation hybride, moins visible que les migrants de 2021, mais tout aussi efficace. L’Union européenne prépare un nouveau train de sanctions, tandis que l’OTAN suit la situation « avec la plus grande vigilance ».
Ce qui a commencé comme une astuce de contrebandiers pourrait bien devenir le déclencheur d’une crise majeure entre l’Occident et l’axe Moscou-Minsk. Et tout ça… pour des paquets de cigarettes.
La semaine prochaine, quand l’état d’urgence sera officiellement proclamé, le monde entier aura les yeux tournés vers cette petite frontière baltique où l’on se bat, pour l’instant, avec des ballons et des camions.
À suivre de très près.









