Imaginez la scène : un ministre de l’Intérieur qui parade sur les réseaux sociaux avec des photos de téléphones empilés comme des trophées de guerre. 400 portables, 600 objets interdits, plusieurs kilos de drogue… « Les fouilles XXL portent leurs fruits », clame-t-il triomphant. Et le lendemain, un détenu connu sous le pseudonyme du « Déjanté » lance tranquillement un direct TikTok devant 4 000 spectateurs en direct de sa cellule. La réalité rattrape la communication à la vitesse d’une 5G clandestine.
Quand la communication gouvernementale percute le mur de la prison
Cette séquence, survenue début décembre 2025, résume à elle seule l’état de délabrement avancé du système pénitentiaire français. D’un côté, une opération médiatique savamment orchestrée. De l’autre, une réalité carcérale où l’autorité de l’État semble n’être plus qu’un souvenir.
Le contraste est saisissant. Pendant que le ministre publie des photos dignes d’un catalogue de saisies douanières, les détenus, eux, continuent de vivre leur vie 2.0 derrière les barreaux. Live TikTok, stories Snapchat, groupes WhatsApp de trafic… Rien ne semble pouvoir arrêter cette invasion technologique.
Le « Déjanté » : symptôme d’un système à bout de souffle
Le cas du « Déjanté » n’est pas isolé, mais il est particulièrement parlant. Ce détenu, déjà connu pour ses vidéos virales, avait vu l’un de ses téléphones saisi lors des fameuses fouilles XXL. Qu’à cela ne tienne : 48 heures plus tard, il était de retour en direct, micro en main, à répondre aux questions de ses abonnés.
Dans son live du 3 décembre, on le voit assis sur son lit, éclairé par la lueur bleutée de l’écran. Il plaisante, fume, montre sa cellule comme s’il s’agissait d’un studio d’influenceur. 4 000 personnes connectées en simultané. Certains lui envoient des « roses » virtuelles ». D’autres lui demandent comment se passe la vie « à l’intérieur ». Lui répond avec le sourire : « Tranquille, on gère ».
« Ils ont pris un téléphone, j’en ai repris un autre. C’est tout. »
Le « Déjanté », en direct TikTok, décembre 2025
Comment les téléphones entrent-ils encore en prison en 2025 ?
La question mérite d’être posée. Malgré les brouilleurs, les portiques de détection, les chiens renifleurs et maintenant ces fameuses « fouilles XXL », les smartphones continuent d’affluer. Les méthodes d’acheminement sont multiples et parfaitement rodés.
Première voie : le parloir. Malgré les vitres de séparation dans certaines prisons, des objets minuscules passent encore. Un téléphone pliable de la taille d’une carte de crédit peut être glissé dans une couche de bébé, dans un paquet de biscuits, ou tout simplement scotché sous une table.
Deuxième voie : les drones. Oui, vous avez bien lu. Dans plusieurs établissements, des drones survolent régulièrement les cours de promenade pour larguer des colis. Téléphones, drogue, chargeurs… tout est emballé dans des sacs plastique noirs pour échapper aux caméras thermiques.
Troisième voie : la corruption interne. Des surveillants, mal payés et parfois menacés, ferment les yeux. Certains vont plus loin et deviennent des passeurs actifs. En 2024, un surveillant de Fresnes a été condamné à trois ans de prison pour avoir introduit plus de 200 téléphones en deux ans.
• Plus de 35 000 téléphones saisis en 2024… mais combien sont passés entre les mailles ?
• 1 téléphone sur 3 en circulation serait un modèle dernier cri avec 5G
• Prix moyen d’un iPhone 15 Pro en prison : entre 3 000 et 5 000 euros
• Un « abonnement » téléphonique clandestin coûte 200 euros par mois à un détenu
Les conséquences dramatiques de cette invasion technologique
Au-delà de l’anecdote, la présence massive de smartphones en prison a des conséquences gravissimes sur la sécurité nationale.
Coordination de trafics depuis la cellule. Des barons de la drogue continuent de diriger leurs réseaux comme s’ils étaient en liberté. Commandes, règlements de comptes, intimidations… tout passe par WhatsApp ou Telegram.
Radicalisation accélérée. Des prêcheurs extrémistes diffusent leurs sermons en direct. Des détenus de droit commun se convertissent à une vision radicale de l’islam en visionnant des vidéos YouTube toute la nuit.
Harcèlement des victimes. Des violeurs, des meurtriers, retrouvent leurs victimes sur les réseaux sociaux et continuent de les terroriser à distance. Des familles entières vivent dans la peur à cause d’un simple smartphone en cellule.
Préparation d’évasions. En 2023, l’évasion spectaculaire de Redoine Faïd avait été en partie coordonnée via des téléphones clandestins. Depuis, rien n’a changé.
Les « fouilles XXL » : un cache-misère médiatique ?
L’opération « Fouilles XXL » a été lancée tambour battant en novembre 2025. 26 établissements ciblés en priorité, des centaines d’agents mobilisés, des résultats affichés en temps réel sur Twitter. Une belle opération de communication, certes. Mais pour quel résultat durable ?
Les surveillants le disent eux-mêmes en off : « On fait une grosse fouille, on trouve beaucoup de choses, on prend la photo, et quinze jours après, tout est revenu à la normale ». Le stock est reconstitué en moins d’un mois.
Le problème est structurel. Avec 76 000 détenus pour 60 000 places, les prisons françaises sont des passoires humaines. Un surveillant pour 80 détenus dans certains quartiers. Impossible de tout contrôler.
Vers une prison vraiment hermétique au numérique ?
Certains pays ont pris le problème à bras-le-corps. En Angleterre a installé des brouilleurs dans toutes ses prisons dès 2018. Résultat : chute de 80 % des téléphones en circulation.
En France, on tergiverse. Les brouilleurs sont interdits par la législation sur les fréquences. Les portiques à ondes millimétriques, qui détectent les objets même cachés dans le corps, sont testés dans seulement trois établissements.
Et pendant ce temps, les détenus rient. Ils savent que le système est dépassé. Ils savent que leur petit business continue. Ils savent que demain, un nouveau téléphone arrivera, glissé dans un paquet de lessive ou largué par drone.
La prison française n’est plus une punition. Elle est devenue un bureau délocalisé pour certains, un studio de streaming pour d’autres, un QG de trafic pour les plus organisés.
Et nous, à l’extérieur, continuons de nous émouvoir devant des piles de téléphones saisis… pendant que derrière les murs, la fête 2.0 ne s’arrête jamais.
Tant que les prisons seront surpeuplées,
Tant que les surveillants seront en sous-effectif,
Tant que la corruption ne sera pas éradiquée,
Les smartphones régneront en maîtres derrière les barreaux.
Les « fouilles XXL » ne sont qu’un pansement sur une jambe de bois. La vraie question n’est pas de savoir combien de téléphones on saisit aujourd’hui. Elle est de savoir pourquoi, demain, il y en aura toujours plus.









