Imaginez recevoir un appel à l’aube vous annonçant que votre enfant de cinq ans a été enlevé avec des centaines d’autres dans son école. Pas un accident, pas une maladie, mais des hommes armés qui ont surgi dans la nuit pour emporter les petits dormeurs. Au Nigeria, cette scène cauchemardeuse est devenue réalité pour des centaines de familles depuis le 21 novembre dernier.
Un enlèvement qui a bouleversé tout le pays
Dans le village reculé de Papiri, dans l’État du Niger, l’école catholique Saint Mary accueillait paisiblement ses élèves. Ce soir-là, des bandits lourdement armés ont fait irruption dans les dortoirs et ont emmené plus de 300 enfants et plusieurs enseignants. Un choc d’une ampleur rare, même pour un pays malheureusement habitué aux kidnappings de masse.
Cinquante enfants ont réussi à s’échapper dans les jours suivants, profitant d’un moment d’inattention de leurs ravisseurs. Mais 265 personnes, dont de très jeunes élèves, restent toujours captives deux semaines après les faits. Les autorités affirment connaître leur localisation et négocient activement leur libération.
Samaila Livinus, le père qui refuse de s’effondrer
Samaila Livinus, 44 ans, cultivateur de maïs et de haricots, fait partie de ces parents plongés dans l’angoisse. Son fils de cinq ans figure parmi les enfants disparus. Depuis l’appel fatidique, il n’a presque plus quitté sa maison de Minna, la capitale régionale, située à 500 kilomètres du lieu du drame.
« Parfois, vous essayez de ne pas pleurer. Vous tentez de vous calmer… de garder la famille debout », confie-t-il d’une voix douce, derrière ses lunettes. À la maison, ses deux autres enfants, âgés de trois et neuf ans, demandent sans cesse où est passé leur frère. Sa femme a passé plusieurs jours sans manger.
« En tant que père, il faut être fort »
Samaila Livinus
Extérieurement, rien ne laisse deviner la tempête intérieure. Chemise blanche impeccable, parfum discret, sourire poli : Samaila reçoit chaque jour les proches venus apporter leur soutien. Mais à l’intérieur, la pression est immense. Il parle d’une « grave détresse psychologique », plus dure encore que le décès de ses parents et d’un autre enfant l’an dernier.
Un ami, dont les enfants étaient aussi parmi les captifs, n’a pas supporté le choc. Hypertendu, il est mort quelques jours après d’une crise cardiaque. Samaila, lui, s’inquiète particulièrement pour la santé de son fils, qui suivait un traitement médical dont il préfère taire la nature.
L’attente insoutenable entre espoir et désespoir
Ce qui ronge le plus ces familles, c’est l’incertitude. Comme le dit Samaila : « S’il s’agissait d’un décès, vous sauriez que la personne est partie, vous l’enterrez… mais là, vous ignorez ce que traverse cet enfant ».
Les nuits sont courtes. Les journées, interminables. Les parents se raccrochent à la prière et au jeûne. Certains, comme l’évêque du diocèse de Kontagora, propriétaire de l’école, affirment avoir recommencé à dormir après les assurances données par le conseiller national à la sécurité.
« Il nous a garanti qu’ils reviendront, et cela peut arriver à tout moment »
Mgr Bulus Dauwa Yohanna
Lundi, Nuhu Ribadu s’est rendu en hélicoptère à Kontagora pour rencontrer les responsables et les familles. Il a affirmé que les enfants étaient localisés, en bonne santé, et que leur libération n’était qu’une question de temps. Des mots qui ont redonné un peu d’air à des parents asphyxiés par l’angoisse.
Les « bandits », fléau du nord-ouest nigérian
Ceux que l’on appelle ici les « bandits » ne sont pas des groupes jihadistes, même si certains observateurs étrangers les confondent parfois. Ce sont des gangs criminels qui écument les zones rurales peu surveillées, attaquent villages et routes, volent du bétail et enlèvent pour obtenir des rançons.
Ces dernières années, les enlèvements de masse se sont multipliés, touchant particulièrement les écoles. Les bandits savent que la détresse des parents et la pression médiatique forcent souvent l’État ou les familles à payer. Des sommes parfois colossales, qui financent ensuite l’achat d’armes plus sophistiquées.
Quelques chiffres accablants ces dernières années :
- Plus de 1 400 élèves enlevés depuis 2014 (chiffre probablement sous-estimé)
- Des rançons atteignant parfois plusieurs millions de dollars
- Des zones entières où les écoles ferment par peur des attaques
- Des milliers de déplacés fuyant les villages régulièrement pillés
L’attaque contre l’école Saint Mary est l’une des plus importantes jamais enregistrées. Le fait qu’elle ait visé une institution catholique dans une région à majorité musulmane a également ravivé les tensions communautaires et attiré l’attention internationale.
Une affaire qui dépasse les frontières
Le timing n’est pas anodin. Quelques semaines avant l’enlèvement, le président américain réélu Donald Trump avait publiquement menacé d’une intervention militaire au Nigeria, accusant des « islamistes radicaux » de massacrer des chrétiens. Des déclarations qui ont suscité à la fois l’inquiétude et la colère à Abuja.
Sur le terrain, les autorités nigérianes insistent : les ravisseurs ne sont pas des jihadistes mais des criminels opportunistes. Une distinction importante pour un pays qui lutte déjà sur plusieurs fronts sécuritaires, du terrorisme de Boko Haram au nord-est à la criminalité endémique au nord-ouest.
Cette affaire illustre cruellement la difficulté de l’État nigérian à protéger ses citoyens dans des zones rurales vastes et sous-équipées. Malgré les promesses répétées de renforcement sécuritaire, les mêmes drames se reproduisent, laissant des familles entières brisées.
Et maintenant ?
Au moment où ces lignes sont écrites, les négociations se poursuivent. Les autorités affirment vouloir éviter le paiement d’une rançon trop importante qui encouragerait d’autres attaques. Mais pour les parents, chaque jour qui passe est une torture supplémentaire.
Samaila Livinus continue de recevoir des proches, de prier, de jeûner. Il alterne entre moments de prostration et sursauts d’espoir quand une nouvelle rumeur de libération circule. Comme des milliers d’autres parents à travers le pays, il attend. Simplement.
Derrière les statistiques et les déclarations officielles, il y a des enfants qui manquent à l’appel. Des frères et sœurs qui pleurent. Des mères qui ne mangent plus. Des pères qui serrent les dents pour ne pas craquer devant leur famille.
L’histoire de l’école Saint Mary n’est pas terminée. Elle se joue en ce moment même, quelque part dans la brousse nigériane, entre la cruauté de quelques hommes armés et la résilience incroyable de parents qui refusent de perdre espoir.
On ne peut qu’espérer que les enfants rentreront bientôt. Que Samaila pourra enfin serrer son petit garçon dans ses bras. Et que ce cauchemar collectif deviendra, un jour, un mauvais souvenir.









